Sur le "Vieux Port de Marseille", Michel Poiccard, un jeune et séduisant délinquant, très sûr de lui, arrive à voler une voiture décapotable avec laquelle il s'enfuit sur Paris. Admirant au passage la nature et maniant avec dextérité le volant, il roule à vive allure. Un ralentissement l'oblige à rétrograder et il tombe sur un contrôle routier. Michel pointe alors une arme en direction d'un policier, le tue et parvient à rejoindre Paris.
C'est là qu'il se réfugie chez Patricia, une jeune étudiante américaine en journalisme qui vend le "Herald Tribune" à la criée sur les Champs-Elysées afin de subvenir à son quotidien.
Michel Poiccard profite de ce séjour dans la capitale pour récupérer les butins de différentes "affaires" et rêve avec cette somme de s'exiler à Rome en emmenant Patricia dont il est follement amoureux. Malheureusement pour lui, la mort du policier n'est pas restée sans conséquence. Son portrait est diffusé dans la presse et la police veille...
Dans la vie courante Michel Poiccard n'est qu'une petite frappe sans grande envergure et le complice de quelques vols dont il doit récupérer sa part de butin. Il se croit quelqu'un mais il n'est qu'un simple malfrat qui perd le contrôle de lui-même en tirant sur un motard.
Il est élégant, snob et macho. De plus il aime les belles voitures et les femmes. Il ne conçoit pas de tenir un volant sans penser à la vitesse et aux jolies "conquêtes", se croyant irrésistible auprès de la gente féminine. Portant chapeau, lunettes de soleil, tenue décontractée, avec sa cigarette au bec et son air désinvolte il a tout du portrait du petit caïd qui rêve de luxe.
Cet garçon n'a en fait jamais grandi dans sa tête et son égocentrisme est choquant. Il rêve du "Claridge" mais il se retrouve avec Patricia dans son appartement de bien moindre confort.
Patricia est une jeune femme émancipée croquant la vie à pleine dent. Elle vend ses journaux, fait ses études de journalisme à la "Sorbonne" et sort lorsqu'elle en a envie. Avec elle, pas de tabous, elle peut viser une belle situation professionnelle et peut se passer d'un homme pour y parvenir. Parfois elle se sert de ceux-ci dans le cadre de sa vie intime. La jeune femme est américaine et elle est en avance sur sa condition de femme par rapport aux françaises qui entrevoient tout de même à cette époque un coin de ciel bleu dans le domaine de leur liberté individuelle.
Michel, ce grand gamin, ne peut concevoir la vie sans elle. Pour la séduire il allie mots tendres, autorité et crises de jalousie. Il pense qu'en utilisant le machisme comme au bon vieux temps, il arrivera à ce qu'elle le suive en Italie. Il ne se doute pas à quel point Patricia n'est pas, malgré son amour pour lui, une femme soumise tant elle tient à sa liberté.
Le seul moyen pour que Michel puisse prendre de la distance vis à vis d'elle est de le dénoncer à la police et le voir se sauver seul à toute hâte. Vu la conception de sa vie, celui-ci privilégiera de rester.
Poursuivi dans la rue par un policier, il recevra une balle dans le dos. Il continuera de courir avec Patricia derrière lui mais "à bout de souffle" il s'écroulera. La jeune femme et Michel, allongé sur le dos, se regarderont les yeux dans les yeux et celui-ci lui dira avant son dernier soupir "Tu es dégueulasse".
En 1960 le cinéma français se réveille en découvrant un jeune réalisateur qui va révolutionner avec son premier long métrage le septième art hexagonal encore bien conformiste. Pour son premier long métrage, Jean-Luc Godard lance la "Nouvelle Vague" en réalisant ce film avec très peu de moyens techniques et en laissant libre cours au jeu des acteurs dont l'interprétation se montre très naturelle. Les scénarios sophistiqués bien pensants ou inoffensifs sont remplacés là par un dialogue aux propos incisifs en forme de réquisitoire contre le conformisme et l'immobilisme de la société. Bien sûr, il y a aussi le coté policier de ce film qui pour moi ne sert que de prétexte à tous ces messages que le réalisateur tient à diffuser. La femme sort de son cocon en la personne de Patricia divinement interprétée par l'épatante Jean Seberg. En résistant à la volonté masculine elle symbolise l'arrivée du féminisme .
Le très macho Michel, merveilleusement incarné par Jean-Paul Belmondo, ne parviendra pas à faire fléchir sa compagne qui tire la société vers un univers de liberté.
Elle qui pratique l'union libre croit être enceinte de Michel et lui annonce la nouvelle. Celui-ci répond: "Tu pouvais pas faire attention?" Dans cette phrase comme dans d'autres dans ce film, on perçoit le fossé entre les institutions dans laquelle le bien fondé voulait que l'homme porte une certaine suprématie dans le couple et l'évolution de la société.
Là, Jean-Luc Godard balaye cette conception. Michel ne parviendra jamais à détourner son amie du destin qu'elle s'est fixé.
Cette façon de filmer librement les attitudes et les visages des personnages contribue avec une grande efficacité à justifier la force du propos de cette œuvre. Il est amusant de voir brièvement apparaître sur l'écran dans de tous petits rôles Jean-Pierre Melville et le réalisateur lui-même. A noter également un clin d'œil appuyé du réalisateur à Humphrey Bogart par l'intermédiaire de Michel méditant longuement devant une affiche de "Plus dure sera la chute", tout un symbole...
A notre époque les habitudes de vie ont changé et évolué difficilement mais souvent dans le bon sens grâce à des lois indispensables, notamment au niveau des droits de la femme, pourtant il y a encore beaucoup à faire.
Dans son fonctionnement notre société a également évolué en s'ouvrant beaucoup plus sur certains sujets tabous. Jean-Luc Godard et les réalisateurs qui le suivirent dans cette voie cinématographique contribuèrent grandement à cette évolution. C'est pourquoi, à l'heure où certains prônent le renoncement à tous ces progrès au nom de soi-disant valeurs, ce film garde une tonalité actuelle. Une œuvre majeure !!!
Bande originale du film composée par Martial Solal :https://www.youtube.com/watch?v=Igrjis2O5Ag&list=PL49bjH7_27cMUHBrewq-cauRTKhN15yLi
Ma note: 8/10