Manifeste du cinéma de la Nouvelle Vague et première pierre angulaire de la carrière de Jean-Luc Godard, "A bout de souffle" fait partie de ces classiques qu'il faut avoir vu, ne serait-ce que pour étancher sa curiosité sur ce que peut être le cinéma. Je voulais découvrir le cinéma de Godard et la Nouvelle Vague depuis longtemps, j'en avais déjà un bon a priori : le principe même d'une bande critiques fustigeant un cinéma trop "propre", et devenant à leur tour cinéaste pour tout bousculer, et qui parviennent à révolutionner le cinéma à l'échelle mondiale, je trouve ça absolument grandiose. Et dans ce mouvement, JLG est réputé comme étant le plus radical, le plus génial, ou pour d'autres le plus fou.
Alors, sachant que j'allais probablement l'étudier en cours, j'ai attendu, et j'ai bien fait. Hier, mercredi 05 janvier 2023, cours d'école esthétique du cinéma de fiction au CLCF sur la Nouvelle Vague, notre professeur Fabien Baumann (qui est journaliste chez Positif, la revue historiquement concurrente aux Cahiers du Cinéma, assez ironique) nous montre "A Bout de Souffle". Et, comme je m'y attendais, ce fut une claque.
Alors évidemment, ce film est bien sûr imparfait techniquement, bourré de faux raccords, de jump cut étrange, de phrases un peu limite sur les femmes, et possède une histoire décousu, ne respectant pas trop les règles de dramaturgie du cinéma classique. On peut se limiter ça et penser que ce film est mauvais. Mais au vu du succès du film, de son influence, de tout ce qu'il apporté au cinéma, je pense que cette analyse simpliste et basique est surtout la preuve d'un manque de compréhension. Non, A Bout de Souffle c'est du pur cinéma. Du grand cinéma.
Il est évident que le film peut diviser, et je trouve tout à fait compréhensible qu'on ne l'aimes pas. Mais encore faut-il faire l'effort d'au moins essayer de le comprendre. Dans A Bout de Souffle, on se fiche bien du scénario criminel autour de Belmondo, non, ce qui nous intéresse c'est avant tout sa relation avec Seberg, et ce que Godard fait avec ça. En fait, si je devais résumer ce film en une scène, ça serait celle de l'Hôtel. 23 minutes durant lesquels l'histoire n'avance pas - enfin, pour tout dire, elle avance puisque la relation entre Seberg et Belmondo évolue, on s'attache à eux, on les développe.. mais si on avait juste voulu faire avancer l'histoire, une scène de cinq à dix minutes aurait suffit. - Les 23 minutes sont clairement gratuite, et c'est là toute la beauté de la chose. Parce que Godard se permet de juste, faire du cinéma pendant 23 minutes. Juste faire du cinéma, rien d'autre. Il ne cherche pas à écrire une histoire, à dépeindre des enjeux dramaturgiques ni à briller techniquement : il fait juste du cinéma. Il film un couple, dans son intimité, des dialogues importants aux plus insignifiant (Belmondo : "Je peux pisser dans le lavabo ?" suivi de "Je suis enceinte" de Seberg, ou encore Seberg demandant "Entre le néant et le chagrin, tu choisis quoi ?" et Belmondo qui répond "Montre moi tes doigts de pied").
En fait, Godard impose ici le cinéma comme un art. Il l'était déjà, il l'a toujours été, mais ici on le prouve, on le revendique. Godard se donne le droit de juste filmer ce qu'il veux, quand il veux, comme il le veux. Et quand on aime le cinéma, c'est juste jouissif au final, ce cinéma pur, simple, efficace. Tout s'étale et va à l'essentiel à la fois. Était-ce voulu ainsi à la base ? Peut être pas, probablement pas. Mais ça marche, alors on s'en fout. Godard prouve que le cinéma peut être réaliste et poétique à la fois. A bout de souffle est à la fois réaliste, dans ses personnages non archétypaux, dans le fait de montrer la vie tel qu'elle est, mais à la fois aussi tellement irréel, dans ses choix de mise en scène qui ne sont clairement pas fait pour reproduire la réalité.
Au final, ce film est surtout libre. Tellement libre, tellement libre de tout. Liberté de ton, de forme, de fond, de dialogue, de montage, de musique, de son.. Et c'est juste JOUISSIF. On ne s'en lasse pas, on reste scotché comme s'il s'agissait d'un film d'action. Les dialogues entre Seberg et Belmondo sont aussi fascinant que n'importe quel scène d'action d'un Mission Impossible. Et bordel Godard, merci pour ça. Ce film renforce la vision de cinéma que je suis en train de me forger, au delà du cinéma classique. Ce film, montre à quel point on peut faire plus que ce qu'on voit habituellement au cinéma.
Cette liberté, il faut la voir au moins une fois dans sa vie. Hâte de découvrir la suite de la carrière de Godard.
En bref : si vous n'aimez pas la mer, si vous n'aimez pas la montage, si vous n'aimez pas la ville... allez vous faire foutre.