Le film accumule les étrangetés comme autant de fruits. D'abord cette enquête dans laquelle se lance les 3 voyageurs d'une nuit, et qui n'intéresserait même pas un journaliste local pour un bas de page. Oui... mais peut-être que nos 3 voyageurs qui semblent juste heureux de marcher et de parler ensemble ont besoin d'un prétexte pour se revoir...
Oui, d'ailleurs la solution de l'énigme est quasiment trouvée au bout de 5 minutes et on s'évertue à la prolonger, à s'assurer de toutes les preuves comme pour un crime, n'est-ce pas ?
Se revoir donc pour autre chose: pour parler de ses chagrins d'amour entre nous, par exemple. Et plus, si affinités... mais revenons au sujet, aussi oublié soit-il un moment.
Étrange en effet, ce relent de déviance sexuelle dans l'incident et qui ne semble pas peser sur le film, ne pas s'accorder au reste. Étrange encore ce relent de conte religieux, qui est pourtant le point de départ et l'arrivée du film, sa motivation première. Tous ces tons sur tons - enquête semi-policière, amitié amoureuse, film de guerre, document didactique sur le passé historique et les pélerins de Canterbury - qui glissent les uns dans les autres, étranges ou plutôt étrangement libres. Et que dire de cette séquence avec des enfants généraux et colonels !
Le récit vagabonde avec les émotions des trois personnages, s'amuse de leurs étonnements: combat d'épées de bois au bord de la rivière entre deux gangs dont les généraux de 3 ans disparaissent sous la casquette; familiarité immédiate entre un américain et un anglais qui parlent la langue du bois (et non pas de bois), rencontre bucolique entre le "pervers-colleur de cheveux" et sa victime dans une lumière humide et variée par les nuages. Bref, un charme fou, typiquement anglais dans ses touches d'humour avec des moments particulièrement forts comme ces magasins bombardés, rasés, reconstruits mentalement par la seule inscription sur une pancarte. Et comment ne pas voir dans ces soldats qui défilent ceux qui vont partir pour le Débarquement - on sentirait même Powell & Pressburger dans le secret des dieux pour le coup, lorsqu'une allusion est faite à une mission spéciale.
En bref, plus encore que le sujet qui donne son titre, avec ses aspects miraculeux et la rédemption, c'est tous les chemins buissonniers dans le récit qui en font pour moi un film aussi familier qu'original, un film très touchant, fragile, et qui n'aurait résisté assurément à aucun visage de star. Car l'ordinaire terrestre n'est pas pour rien dans la beauté intacte de ce film; sans lui, il aurait été impossible de capter toute cette Angleterre en attente de la fin de la guerre, terre d'accueil volontaire de ces milliers d'Américains qui parle la même et une autre langue. Je est un autre, mais c'est encore une autre histoire.