Digne représentant des oeuvres paranoïaques typiques des seventies, THE PARALLAX VIEW avait tout pour concurrencer les références du genre. Son pitch passionnant, entre manipulations des foules par les hautes sphères politiques et docu-fiction fantasmant des faits qui ont marqué l'inconscient américain — dont le plus important, l'affaire Kennedy, semble une référence évidente dans le cas présent — promettait de belles choses. D'autant plus que derrière le script se cachent des hommes peu manchots quand il s'agit de générer du réalisme.
Alors quand, à l'écran, s'enchaînent les bourdes surréalistes qui permettent au pauvre Warren Beatty de se sortir de situations perdues d'avance avec l'aisance d'un super héro sans sa culotte courte, la descente est brutale. Le voir castagner un pauvre ahuri portant l'étoile dans un bar pour rien du tout, où éclater un sheriff armé d'un revolver avec sa canne à mouche, fait voler en éclat tous les efforts qui ancraient le film dans un réel que l'on pouvait aisément croire.
Des efforts qui portaient effectivement leurs fruits. Écriture habile, pistes de lecture on ne peut plus enthousiasmantes, à l'image de celle concernant l'organisation Parallax qui semble tout droit sortie d'un roman d'espionnage noir et qui apporte au film sa séquence la plus mémorable, sorte de croisement improbable entre la torture visuelle d'Orange mécanique et la froideur clinique typique de Pakula. Se pose donc la question de ce personnage sans consistance, presque caricatural, qui se perd complètement dans un univers très emprunt de réalisme. L'association est si maladroite qu'elle dessert tout le propos qu'elle est censée véhiculer. Devant l'aspect irrationnel de ce journaliste à la chance insolente, on en vient à se détacher complètement de l'histoire. Alors quand la fin, so seventies dans son côté définitif, nous extirpe de notre siège avec violence, elle n'a pas la dimension espérée. Bien que réussie et dévastatrice, elle semble presque gratuite tant le personnage qu'elle concerne semble être une blague.
C'est bien dommage parce qu'à côté de ça, Pakula assure comme un diable quand il s'agit de monter des ambiances graphiques dévorantes. Son coup d'oeil exercé lui permet de gainer son film d'une photographie frôlant l'excellence, à l'aide de laquelle il emprisonne ses personnages pour en faire des silhouettes perdues dans une immensité qui les assimile sans leur demander leur avis. En alternant gros plan sur les visages afin de partager leur détresse et plans très larges où l'architecture mange les hommes, Pakula ancre son film dans une réalité toujours plus impalpable. Seule la rigueur du béton, solide, immuable, semble pouvoir survivre à ces guerres d'intérêts qui manipulent les masses en se mettant les détenteurs du pouvoir dans la poche. Les juges qui ouvrent et closent The Parallax View sont l'exemple flagrant du petit lait de mensonge qui nourrit une population dont les yeux sont ornés d'œillères par quelques puissants possédant les clés d'une vérité qui n'est pas bonne à connaître.
Devant une telle maîtrise formelle, il est impossible de rejeter le film de Pakula. Il possède trop de jolies qualités, graphiques, mais aussi d'écriture, pour qu'on lui tienne rigueur de son personnage manqué. Néanmoins, impossible aussi d'oublier ce point noir qui gangrène tout le film, puisque le taquin Warren Beatty est dans le cadre en permanence et que l’écriture chaotique de son personnage ampute, à elle seule, toute la puissance de cette fin pourtant bien assumée. C'est quand même sacrément frustrant !