Suite au suicide apparent de l’écrivain à succès Harlan Thrombey (Christopher Plummer, toujours aussi grandiose), le détective Benoît Blanc (Daniel Craig) est recruté par un membre de la famille pour étudier la véritable cause du décès. Au contact de l’infirmière du disparu (Ana de Armas), Blanc découvre que dans la famille Thrombey, dire la vérité n’a pas l’air d’être monnaie courante…
Il n’est pas rare que l’on attende un film en sachant précisément ce qu’on y trouvera ou ce qu’on en attend. Il est souvent plus rare que l’on trouve l’occasion d’attendre avec impatience un film dans lequel on ne sait absolument pas ce qu’on trouvera. C’était pourtant bien le cas d’A Couteaux tirés, mystérieux projet non adapté d’une œuvre existante alignant un casting incroyable et renouant avec le genre si exigeant et si dangereux du whodunit à la Agatha Christie. Il fallait bien un réalisateur de la trempe de Rian Johnson, qui aime à sortir des sentiers battus (son passage sur Star Wars l’a appris à beaucoup de spectateurs à leurs dépens), pour relever le défi… et réussir à y répondre.
Citant très clairement Agatha Christie et Alfred Hitchcock comme influences majeures pour ce film, Rian Johnson accomplit l’exploit d’égaler en tous points les deux maîtres du suspense précités. Ainsi, la première moitié de son film reprend avec un brio incroyable le talent de la première pour les intrigues familiales complexes réveillées par un décès et un détective un peu trop fouineur, tandis que la deuxième moitié s’en émancipe pour plonger dans les terres du mystère à la Hitchcock, doté de personnages touchants dans leur impuissance face au drame qui les écrase et égrené de scènes d’action savamment dosées.
Le détective inventé par Rian Johnson, très clairement influencé par Hercule Poirot (jusqu’au nom français déformé par les Américains), trouve une incarnation magistrale en la personne de Daniel Craig, qui vient de marquer les annales de l’histoire du cinéma par une prestation dont on aimerait qu’elle devienne aussi célèbre et populaire que celle qui le lie à James Bond. Déployant un talent comique insoupçonné, l’acteur se montre d’une efficacité rare et d’un enthousiasme particulièrement communicatif.
L’efficacité de l’acteur, qui rejoint celle du long-métrage, est celle qui caractérise le mélange des genres : à travers ce film, Rian Johnson nous propose en effet un film policier à part entière autant qu’une comédie, l’un et l’autre pouvant aussi bien fonctionner indépendamment qu’étroitement unis. Au travers de la description de la famille Thrombey, le réalisateur s’amuse à mélanger diverses psychologies dans un cocktail explosif qui nous offre les scènes les plus hilarantes du film.
Il faut dire qu’il s’appuie en outre sur un casting quatre étoiles, brillant en tous points, qui est pour beaucoup dans le plaisir pris à regarder ce film, l’influence des « casting all-stars » de la plupart des adaptations d’Agatha Christie (Le Miroir se brisa, Le Crime de l'Orient-Express, Mort sur le Nil, Meurtre au soleil, etc...) étant directement convoquée ici.
Le montage d’une hallucinante précision, signé Bob Ducsay, joue également beaucoup, tant la malice et le dynamisme dont il fait preuve font d’A Couteaux tirés un délice de tous les instants, créant chez son spectateur une envie presque folle de vouloir toujours entrer davantage dans l’univers proposé.
L’alchimie entre les identités visuelle et sonore, enfin, achèvent de faire de ce film un petit bijou de cinéma. Il faut dire que la musique de Nathan Johnson (frère de réalisateur), volontairement bruyante et sensationnaliste, alliée à la photographie de Steve Yedlin, permettent d’accorder la vue à l’ouïe de manière particulièrement rare et jubilatoire. Il faut enfin accorder une mention toute spéciale aux décors somptueux de David Crank, qui confèrent au film de Rian Johnson une beauté visuelle baroque et éblouissante, appelée à marquer la mémoire du spectateur.
Ainsi, par la grâce d’un travail formel d’une rigueur et d’une beauté frôlant l’inconcevable, Rian Johnson signe sans doute son meilleur film à ce jour, en nous proposant un pastiche extrêmement respectueux des codes du genre, qui sait à la fois nous offrir un scénario parfaitement troussé, surprenant et cohérent, et un divertissement qui a sur nos zygomatiques un effet salvateur.
Par sa bonne humeur de tous les instants, son efficacité rythmique, narrative et visuelle, et sa maîtrise totale du genre, A Couteaux tirés a tous les ingrédients pour devenir un classique instantané, et – espérons-le, pour une fois – faire naître une grande saga cinématographique, policière, et surtout totalement inédite. De quoi faire rêver, et surtout rassurer : l’avenir du cinéma est entre de bonnes mains. Plaise à Dieu que le public – puisque c’est aujourd’hui lui qui fait la loi – s’en rende compte…