Rian Johnson après le rouleau compresseur Star Wars, un argument sentant bon le whodunit, une affiche assez maousse, parmi les plus belles proposées de manière récente : A Couteaux Tirés, a priori, ne manquait pas d'attraits. Et ce même si le film investit un genre qui, pour beaucoup, se montrera amidonné et presque préhistorique, malgré un certain retour en grâce depuis Les 8 Salopards et, plus récemment, le remake du Crime de l'Orient Express.
Rian se plie ainsi, dans un premier temps, à la quasi intégralité des codes du genre dans une compilation en forme de présentation de tous les suspects, évoluant dans une propriété cossue, seigneuriale et hors du temps aux allures de véritable cabinet de curiosités hantée par un Christopher Plummer toujours aussi délicieux.
Et puis paf ! Dès la fin du premier tiers de l'oeuvre, v'la-t-y pas que Rian coule une bielle en nous révélant l'articulation principale du crime et son auteur. De quoi se dire que pour le côté Cluedo, on repassera, merci beaucoup...
Sauf que Rian Johnson déplace tout simplement la source du mystère de son récit, et donc tout son intérêt, à l'avant et surtout, à l'après crime. En multipliant les points de vue. Car le coquin nous montre peu à peu le double fond de son enquête. Car le coquin ne nous a pas tout dit de la mort du patriarche, pas si bon écrivain de romans policiers, finalement, qu'on veut bien nous le dire. Car le coquin s'intéresse sans doute bien plus au portrait de la cellule familiale totalement foutraque qu'il dessine dans son scénario remarquablement écrit et diablement malin.
Une galerie de portraits réjouissante, sardonique et parfois comique de personnages d'une petitesse insondable, d'une jalousie maladive et d'une hypocrisie infinie, dont on se rend compte finalement qu'il n'y a pas grand chose à sauver parmi ceux-là dès lors qu'il s'agit de sa partager le patrimoine du mort.
Une famille divisée, égoïste, volontiers abjecte sous son apparente tolérance et sa faculté à accueillir des éléments qui lui sont étrangers. Une famille vivant dans un manoir aux allures anglaises simulant les contours d'un portrait des Etats-Unis peu glorieux, un pays replié sur lui-même, haineux et pourri par l'oisiveté de la richesse de l'empire bâti par ses aînés.
Rian Johnson s'en donne à coeur joie, tout comme l'intégralité de sa casting, offrant une performance de groupe parmi les meilleures de cette année 2019. Où le décalage fun de Daniel Craig répond à la désinvolture délicieuse de Chris Evans ou la belle âme de la toujours aussi cute Ana De Armas.
A Couteaux Tirés se joue avec un plaisir communicatif des carcans du genre qu'il investit pour mieux déborder vers quelque chose de plus libre, volontiers iconoclaste. Un film doublant son scénario à la manière de d'une fable, d'une parabole aux propos des plus actuels et cinglants. Et quand la dernière image de l'oeuvre scande "ma maison", écrit en lettres de sang, il offre une sacrée revanche à ceux que l'on accueille du bout des lèvres, que ce soit dans une famille ou à l'échelle d'un pays individualiste. Au prix d'une contamination des fausses valeurs de ce dernier ?
Un air de famille aux allures de discorde ludique et fraîche, en somme. Cette lame de fonds proposée par A Couteaux Tirés ne saurait se refuser.
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