Un homme ne peut pas oublier une vérité qu'il a vue en face. Il ne peut pas retourner volontiers dans les ténèbres, ni redevenir aveugle une fois qu'on lui a fait don de la vue, pas plus qu'il ne peut ne plus être né. Nous sommes la seule espèce capable d'introspection, la seule espèce ayant le doute d'elle-même inscrite à son code génétique. Dotée de moyens inégaux, nous bâtissons, nous achetons, nous consommons. Nous nous réfugions derrière la façade illusoire du succès matériel. Nous trichons et trahissons jusqu'à ce que nous accédions au pinacle de ce que nous considérons être l'accomplissement. Nous cherchons à nous élever au-dessus de tous.
Un mal nous ronge à l'intérieur, se propageant, comme la bile qui monte et laisse un goût amer au fond de la gorge. Vous avez tous senti ce cancer se développer lorsque vous avez pris place autour de la table. Nous nions son existence jusqu'à ce qu'un jour, le corps se rebelle contre l'esprit et pousse un grand cri : "Je ne vais pas bien !".



Lockhart (Dane DeHaan), jeune cadre prêt à tout pour satisfaire ses ambitions, est sommé par le conseil de son entreprise de partir en Suisse chercher son patron (Harry Groener), qui y fait une cure dans l’établissement du docteur Volmer (Jason Isaacs, grandiose), s’il ne veut pas voir toutes ses combines révélées au grand jour. Arrivé en Suisse, il découvre un établissement thermal tellement parfait qu’aucun des pensionnaires ne semble vouloir en partir. Mais au moment où il veut le quitter, Lockhart est victime d’un terrible accident de voiture qui lui vaut une jambe plâtrée. Contraint de rester un temps dans l’établissement, il se fait diagnostiquer par Volmer la même maladie qui contamine tous les patients. Devenu patient malgré lui, Lockhart découvre que cet établissement cache apparemment bien des secrets…


On l’avait perdu de vue depuis le malheureux échec de son dernier chef-d’œuvre, Lone Ranger, le voici de retour. Gore Verbinski est décidément un réalisateur plein de ressources, et il change radicalement de registre avec A Cure for life.
Comme dans ses précédents films, Verbinski se montre un cinéphile accompli, distillant de nombreuses allusions au sein de son film, de L’Homme au masque de cire à Shutter Island, en passant par Shining, Orange mécanique et Dracula. Ainsi, le film vogue d’un pastiche à l’autre tout en parvenant à trouver sa propre identité, Verbinski faisant encore une fois preuve de sa maîtrise parfaite de la mise en abyme. Celle-ci déploie ses ramifications tout au long d'un film dont le symbolisme extrême est magnifiquement mise en valeur par ces éléments qui se répondent l'un à l'autre tout au long du film, créant une cohérence d'ensemble d'une solidité à toute épreuve.


Cette identité, c’est d’abord au travail hallucinant de Bojan Bazelli, directeur de la photographie, qu’il faut l’attribuer. En effet, comme sur Lone Ranger et The Ring, sur lesquels il a aussi travaillé, la plupart des plans du film sont proprement inoubliables, tant leur sens esthétique est poussé à l’extrême sans jamais basculer dans le kitsch pour autant, magnifiant en cela les codes du giallo auquel le film rend hommage, notamment dans son final, par ses jeux d'une suprême intelligence et d'une virtuosité impressionnante avec les reflets (superbe utilisation de l'eau), les ombres et les lumières. Ces jeux n'ont bien sûr rien de gratuits, et s'insèrent bien dans le propos général du film, sur la dualité de l'Homme et du monde actuel, l'univers clos du sanatorium jouant le rôle de miroir grotesque et déformant, mais plein de vérité, du monde extérieur.
C’est aussi aux décors de Mark Rosinski et Michael Standisch, impressionnants, tant les extérieurs que les intérieurs, qu’on peut attribuer la réussite visuelle de A Cure for life, réussite parfaitement épaulée par la musique de Benjamin Wallfisch et son thème entêtant. Du côté des acteurs, le trio Dane DeHaan/Jason Isaacs/Mia Goth fonctionne à merveille, et contribuent à augmenter la tension déjà instaurée par une ambiance parfaitement réussie, inquiétante sans être excessivement glauque.


Evidemment, pour goûter cette ambiance, il faut passer par quelques scènes très crues (mais aussi très courtes, et pas si gratuites et racoleuses que ça), qui empêchent de recommander le film aux âmes sensibles (autant du point de vue des vulgarités que du point de vue de la violence).
Pour les autres, on profitera pleinement de ce film d’épouvante baroque et visuellement superbe, un des derniers purs objets de cinéma, qui tient parfaitement ses 2h20, jamais plombé par un classicisme merveilleusement dosé, mais qui nous rappelle que Verbinski est un réalisateur sans lequel il manquerait quelque chose au cinéma américain.



"Les 200 dernières années ont été les plus productives de l'histoire de l'humanité. L'homme s'est débarrassé de Dieu, de la hiérarchie, de tout ce qui lui donnait une raison d'être, jusqu'à ce qu'il ne lui reste plus qu'à adorer le piédestal vide de sa propre ambition. C'est pour ça qu'ils viennent ici... les hommes comme vous. Vous avez raison, M. Lockhart, personne ne repart d'ici. Ce que vous n'avez pas compris, par contre, c'est qu'ils ne veulent pas repartir.
Savez-vous quel est le remède à la condition humaine ? La maladie. Parce qu'une fois malade, on retrouve l'espoir de guérir..."


Tonto
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le 22 févr. 2017

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Tonto

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