Petite silhouette gracile surmontée d’une masse de cheveux tombants, fermement arrimée à une grande silhouette haute qui lui permet de voir plus loin, voici Monique Pinçon-Charlot (15 mai 1946, Saint-Etienne - ) et son époux, Michel Pinçon (18 mai 1942, Lonny - ), sociologues élevés au grade de Chevalier de la Légion d’honneur en 2014 ; « la petite » à l’élocution aisée, et « le grand », à la faconde plus hésitante, ainsi qu’il le reconnaît lui-même non sans humour. Elle, très droite, issue de la bourgeoisie de province, toujours bien mise, fille du Procureur de Mende, en Lozère, a conservé l’assurance de sa classe, comme un adoubement à la parole, lui, légèrement voûté, issu d’un milieu bien plus modeste, ouvrier, en porte également les stigmates propres.
Tous deux, anciens directeurs de recherche au CNRS, publient des ouvrages conjoints à partir de 1989, depuis « Dans les beaux quartiers » jusqu’à « Notre vie chez les riches : mémoires d’un couple de sociologues » (2021), en passant par « Le Président des ultra-riches : chronique du mépris de classe dans la politique d’Emmanuel Macron » (2019). D’abord spécialisés dans les milieux économiquement supérieurs de la société, et notamment la grande bourgeoisie parisienne, ils s’accordent davantage de liberté depuis leur prise de retraite en 2007.
C’est au cours de cette nouvelle vie de retraités que s’effectue la jonction avec Basile Carré-Agostini, fils du réalisateur Jean-Michel Carré et producteur du génial documentaire d’Ilan Klipper, « Sainte-Anne, hôpital psychiatrique » (2010). Le scénariste-réalisateur, ici également à l’image et au son, accorde le temps nécessaire au tournage, qui s’étend sur plusieurs années. Le « avant J.C. » des temps modernes devenant un « avant le masque », on s’étonne de découvrir des êtres humains au visage nu, dans la rue, lors de rassemblements, de colloques, de réunions syndicales... Devenu ami du couple au point d’être admis dans son intimité - la première scène pose clairement la chose, montrant les Pinçon-Charlot peu avant le sommeil, dans leur chambre, déjà couchés, et s’apprêtant à éteindre la télévision installée au pied de leur lit -, Basile Carré-Agostini les regarde vivre, les questionne, les escorte dans leurs divers déplacements. Du soutien apporté à une usine en grève à l’accompagnement des premiers samedis des Gilets Jaunes, de la vie sans masque, donc, à la vie masquée, de leur joli pavillon de la banlieue sud à un refuge secret dans les Ardennes de Michel, on suit le couple sur ses terrains d’observation et de lutte, l’un n’étant pas démêlable de l’autre. Face à de jeunes lycéens, emmenés dans les beaux quartiers parisiens par une de leurs enseignantes, face à un châtelain quelque peu choqué par le virage pris à leur retraite, le duo souligne inlassablement l’insupportable et incommensurable écart entre l’hyper-richesse arrogante et méprisante d’une oligarchie pratiquant l’endogamie et l’appauvrissement croissant de masses de plus en plus asservies et écartées des prises de décision.
Un documentaire puissant, qui porte témoignage d’une vie d’engagements, et de son ressourcement auprès de son noyau même, la vie de couple, en un duo indissociablement intriqué, à la manière des plantes amies.