Le vampire est un personnage célèbre de différents folklores populaires. Suceur de sang. Prince des ténèbres. Revenant. Immortel. Effrayant, mais aussi parfois séduisant. Les attributs sont nombreux et notoires. Du roman de Bram Stoker à la prestation de Christopher Lee, nous vouons un véritable culte à ces créatures de la nuit. Et tandis que tout semble déjà avoir été fait, « A Girl Walks Home Alone at Night » ravive une nouvelle fois le style vampirique.
Avec son ample tchador et sa bouche fraise, l’affiche annonce clairement l’intention du film : transformer la figure du vampire. La cape si caractéristique cède sa place au voile iranien. Et le vampire est ici une vampire. Mais davantage que de simples attributs modifiés, ce sont tous les codes cinématographiques du genre qui sont transcendés. Dans le fond comme dans la forme, Ana Lily Amirpour s’approprie audacieusement le mythe du vampire pour instiguer un cri de révolte face à de nombreux problèmes de société.
A Girl Walks Home Alone At Night, soit Une fille marche seule dans la nuit. Cela évoque bien une angoisse. Une peur. Une vulnérabilité. Une fragilité. Car n’est-ce pas là la crainte d’une femme d’être seule au cœur de la nuit ? Pourtant, le renversement des idées s’emploie à chaque instant où cette ombre expressionniste et solitaire se promène dans son environnement pâle. Vulnérable, la fabuleuse Sheila Vand ne l’est pas. Et encore moins fragile. Si victime il y a, ce sera l’homme malveillant qui croisera sa route. En connaissance de la situation des femmes en Iran, c’est tout à l’honneur de la réalisatrice de balayer les conventions sociales mais aussi religieuses. La femme docile et soumise devient ici une créature puissante et indépendante. Ce qui fait avant tout de cette vampire une figure féministe.
Mais le film ne sombre jamais dans la lourdeur de la radicalité en se situant indéniablement dans une zone grise au centre de deux idéologies. Plutôt que le fléau vengeur contre tous les hommes, cette vampire est aussi une héroïne impartiale. Incapable de déborder de haine face à toute la gent masculine, elle s’investit d’un code moral qui lui permet de discerner le bien du mal. C’en serait presque réactionnaire. Racailles, harceleurs. Tous y passent. Tous ceux qui sont un obstacle à la liberté de la femme. Elle nettoie les rues, chasse les maux du quotidien. Mais les innocents n’ont rien à craindre de sa morsure. En offrant la paix par l’euthanasie des souffrances du monde, c’est davantage la pitié qui anime ce nouveau vampire plutôt que les pulsions sanguines.
Au-delà de toutes les revendications politiques et sociales, l’œuvre n’occulte jamais la féminité de sa créature ni même son humanité. Vampire certes, mais vampire avec des joies, des peines, et des rêves. Tandis qu’elle vagabonde dans un univers mélancolique, arpentant les ruelles sombres tel le spectre de la mort, la vampire apparait aussi comme terriblement sensuelle. Et il est bien difficile pour le spectateur de rester indifférent au regard envoutant d’une beauté qui suscite autant de méfiance que d’attirance. Gangrenée de l’intérieur par l’absence d’amour, la créature est également un être doué de sensibilité qui soigne son chagrin par une relation timide avec un être humain. Et c’est la musique, élément central allant de l’électro au rock, qui parvient à accompagner parfaitement ce jeu de séduction singulier. Par des danses discrètes et des écoutes silencieuses, une poésie macabre revitalise le ton taciturne de l’œuvre tout en faisant battre à nouveau le cœur froid d’une vampire si belle et effrayante à la fois.
Le langage cinématographique du film, lancinant et minimaliste, permet d’explorer la prison de solitude du personnage, mais aussi de la ville et de ses habitants. Car dans ce lieu fantomatique, un singulier mélange se compose avec le noir et le blanc afin de constituer l’atmosphère austère qui suinte de l’œuvre toute entière. Par une réelle passion dévorante, Ana Lily Amirpour vampirise la force vitale de David Lynch, Sergio Leone, Frank Miller, pour s’en nourrir et se renforcer. On y ressent alors l’attraction de toutes ces influences. C’est une richesse inouïe qui permet un choc sensoriel. Un effet stylistique qui hypnotise par son image. Un envoûtement puissant par son ambiance. Et l’ensemble permet de porter une romance si tragique et lumineuse en même temps.
Conclusion :
A Girl Walks Home Alone At Night est un film étrange. D’une lenteur extrême, il est aussi énergique. Sombre, mais aussi éclatant. C’est assurément un visionnage revigorant qui parvient brillamment à revitaliser le style vampirique. Une œuvre magistrale dont le magnétisme nous agrippe instantanément sans jamais nous relâcher.
Qu’est-ce que tu es ?
Je suis mauvaise.