Lorsque nous avions assisté à l’avant-première du film au Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg*, le film venait tout juste de recevoir le Prix Révélation Cartier au Festival Américain du Film de Deauville. Inconnu la veille, le film suscitait soudainement la curiosité et l’engouement des spectateurs strasbourgeois. A Girl Walks Home Alone at Night était devenu LA séance à laquelle il fallait assister au festival. Salle bondée, le film a véritablement enchanté le public, même si certains spectateurs ont été plus divisés. Film fantastique sublimé par une mise en scène hypnotisante et une bande-son des plus électriques, A Girl Walks Home Alone at Night est peut-être ce que vous verrez de plus audacieux en ce début d’année. La réalisatrice Ana Lily Amirpour s’approprie avec brio les codes du film de vampire et les plie aussitôt pour en faire un long-métrage estampillé « premier film de western vampire américano-iranien ». Pas banal. Avec ce film, il n’est pas question pour la cinéaste d’en faire une critique acerbe d’une Iran vampirisante, il s’agit avant tout d’une histoire d’amour fantastique qui trouve son essence et son insolence dans les racines de la cinéaste.
Pour bien comprendre le film, il est intéressant de se pencher sur le parcours de la réalisatrice. Ana Lily Amirpour a d’abord fui la révolution iranienne de 79 avec sa famille pour s’installer à Margate, une petite contrée anglaise en bord de mer. Elle y a grandi quelques temps avant de repartir, cette fois pour la Californie. C’est dans cet univers du skate, du punk et de la culture underground qu’Ana Lily est devenu pubère. Touche-à-tout insatiable, elle pratique la peinture, sculpte à ses heures perdues, fait une tournée américaine comme leader d’un groupe de rock et revient finalement en Californie, dans la ville des anges pour réaliser des films. Bien que n’ayant jamais foulé la terre de ses parents, elle conserve une attache particulière à ses origines iraniennes. C’est ce qui fait l’authenticité et l’identité de son premier long-métrage. Déjà forte d’une expérience à l’écriture et la réalisation sur huit courts métrages, la jeune cinéaste s’attaque pour son premier film au célèbre mythe du vampire. Une passion pour l’épouvante qui ne date pas de si tôt. A l’âge de douze ans, elle avait déjà réalisé un premier film, un court métrage d’horreur qui se déroule lors d’une soirée pyjama. A croire que la commission de classification américaine (MPAA) n’a eu aucun effet sur sa personne.
Pour Ana Lily Amirpour,
A Girl Walks Home Alone at Night est comme si Sergio Leone et David Lynch avaient donné naissance à un
bébé rock’n’roll iranien, et que Nosferatu avait rempli le rôle de
baby-sitter pour cet enfant.
Et pourtant derrière toutes ces belles et respectables références, on peut également mettre le film en parallèle avec un autre réalisateur, tout aussi underground et dandy que la cinéaste iranienne, Jim Jarmusch et son récent Only Lovers Left Alive. Présenté au dernier Festival de Cannes, le dernier Jarmusch contient quelques similitudes notables. Il est vrai que depuis toujours, les histoires de vampires sont avant tout des romances érotiques stylisées. Mais ici, certaines thématiques nous frappent directement. On y retrouve cette passion musicale exaltante, celle qui donne la motivation à ses personnages isolés de continuer à vivre. Une musique indie-rock aux accents électro du plus bel effet, qui fait également la part belle aux compositions instrumentales dignes des grands westerns d’Ennio Morricone. Tout comme le film de Jim Jarmusch, on note également la présence de ces mêmes personnages désabusés par la société. Les deux héros du film semblent perdus dans une quête d’identité, du rapport aux autres et du temps perdu. Il y a quelque chose de très charnelle qui s’évapore dans l’union de cette vampire -proche du tempérament de la réalisatrice- et d’Amish, un iranien aux allures de James Dean. Ils voguent tous deux sans le savoir vers un avenir en commun incertain mais rempli d’un amour inexplicable. Sans montrer une seule séquence érotique, un parfum terriblement sulfureux se dégage du film, comme en témoigne cette séquence au détour d’un vinyle qui tourne en boucle et laisse les amoureux frémir dans un ballet de corps et de souffles incroyablement sensuel. Au fond, on ne peut pas dire que A Girl Walks Home Alone at Night marche sur les plates-bandes de Jim Jarmusch. De par les origines iraniennes de la réalisatrice, il y a un autre degré de fascination pour l’esthétique et le style du film. Envoûtante, minutieuse, contemplative, la mise en scène offre un très beau rendu de noir et blanc saturé digne de l’expressionnisme allemand. De la même manière que le film de Jarmusch décrié pour sa lenteur, tout l’intérêt du film se retrouve dans cette expérience graphique remarquable. Un récit maîtrisé bien que très lancinant, qui pourra en rebuter certains.
Ana Lily Amirpour ne passe pas par quatre chemins pour nommer le lieu de son intrigue. Bad City, une ville pécheresse où tous les vices de la société semblent se trouver au coin d’une rue sombre et déserte. Cité figée dans un décor désertique et industriel qui ne semble pas s’être adaptée aux changements de la société. Au détour d’élégants travellings, la réalisatrice dénonce l’emprise de la drogue, le poids d’une famille emprisonnante et la femme en tant qu’objet. Des critiques se sont insurgés contre la portée critique de la société iranienne. Pourtant, les thèmes du film ne sont pas nécessairement cantonnés à l’Iran. Ils sont même encore trop ancrés dans les cultures occidentales, et il faudrait plutôt y voir une métaphore de la vie de débauche que l’on peut trouver dans les bas-fonds de la Californie. Même si la domination masculine y est très présente, il convient de la nuancer puisque Amish serait plutôt une représentation de l’évolution de la société. Un changement de mœurs et du rapport social entre les hommes et les femmes. A l’inverse, le personnage de cette fille vampire donne également matière à révolution pour la gente féminine, celle qui ne se contente pas d’être cantonnée à un objet, obéissant sans bornes au sexe mâle. Il est vrai qu’il est difficile alors de ne pas faire le rapprochement avec la situation iranienne actuelle. Dans un pays où autrefois la musique occidentale était encore interdite (pensez à Persepolis), Ana Lily Amirpour entend lui donner une place conséquente dans ce film. A l’instar du film de Jim Jarmusch, la passion de son énigmatique vampire se retrouve dans sa collection de vinyles et de posters tapissant les murs, bafouant les conventions d’un pays despotique. Sans tomber dans la lourdeur d’un brûlot anti-Iran, Ana Lily Amirpour fait preuve d’une volonté sincère de retranscrire avant tout l’amour de deux êtres isolés sur fond de toile fantastique.
Premier long-métrage impressionnant de maîtrise, A Girl Walks Home Alone at Night est le plus iranien de tous les films américains. Cette enfant de la culture underground reprend les codes du fantastique à son plus bel avantage et délivre un film d’une romance envoûtante. Pour ceux qui aimerait prolonger l’expérience, sachez que la réalisatrice en a également tirer un roman graphique qui sera certainement disponible à la sortie du film. C’est une pièce maîtresse dans la genèse du film puisque le roman a été fait en amont du développement et a finalement servi de storyboard. Prolifique, Ana Lily Amirpour a déjà évoqué son prochain film qui sera une « cannibal love-story post-apocalyptique». Elle est assurément une cinéaste dont on ne fait que commencer à en entendre parler. La revue américaine Filmmaker Magazine l’a même déjà classé dans les vingt-cinq nouveaux visages du cinéma indépendant. A Girl Walks Home Alone at Night est l’un des plus bels exercices de style que vous pourrez voir en ce début d’année.
http://www.cineseries-mag.fr/feffs-jour-1-cafe-tobe-hooper-vampire/