Un très bon exemple de film à la mise en scène exceptionnelle.
Le scénario, quant à lui, ne tient qu'à un fil : un ancien homme de main particulièrement cruel et efficace reconverti incognito en bon père de famille est retrouvé par ses anciens collègues de mafia qui vont vouloir lui demander des comptes.
Sur cette trame squelettique, A History of Violence semble ne tenir qu'en quelques scènes fortes. Cinq très exactement : la séquence d'ouverture avec les deux tueurs, la scène du café, l'étreinte torride entre Tom et sa femme (éblouissante Maria Bello), le règlement de compte dans le jardin, et le final. Mais on ne s'ennuie pas dans ce film et c'est tout l'art de Cronenberg qui joue à la fois sur un timing parfait et sur son art de la réalisation pour apporter la tension nécessaire à cette histoire de duplicité.
Car c'est le sujet du film : qui est-on vraiment ? Peut-on changer d'identité ? Qui est mon voisin ? Et qui est Tom, ce brave barman, père de famille investi dans la vie de sa petite ville de province ? L'interprétation de Viggo Mortensen est à la hauteur de cette problématique : tout à fait crédible dans le rôle de Tom, citoyen lambda, symbole de l'American Way of Life, il l'est tout autant en Joey, tueur à sang froid, capable de liquider en une violence fulgurante deux, puis trois mafieux venus en découdre sous les yeux stupéfaits de sa femme et de son fils. Eux pour qui la réalité vole en éclat sous le coup de deux constats improbables : d'abord leur père qui devient du jour au lendemain un héros national, aux yeux de l'opinion publique, c'est un modèle d'humilité et d'autodéfense. Mais surtout, loin d'être le doux compagnon et le père responsable, il leur apparait sous des traits beaucoup plus inquiétants : en fait une vraie machine à tuer.
A History of Violence nous interroge sur le bien et le mal - duplicité qui peut concerner l'autre comme nous-même - et le moins qu'on puisse dire est que le film de Cronenberg nous laisse sur une conclusion des plus troublantes : en nous mettant à la place de Tom, en espérant qu'il puisse mener à bien son projet contre ses anciens employeurs et amis, on en oublie le tueur qu'il a été - ce dont on n'a pas la preuve mais dont il est difficile de douter - et les crimes qu'il n'a jamais expiés. Et comme tout le monde, comme les médias, comme sa femme, et comme son fils nous sommes soulagés qu'il finisse cette histoire en héros. Mais quel héros ? Et à quel prix ! C'est ici toute l’ambiguïté des États-Unis, dont l'histoire s'est construite en grande partie sur des héros peu recommandables, qui est interrogée par Cronenberg.
Mise en scène : 10
Histoire : 9
Interprétation : 10
10/10