(Avec spoiler)
Alors que je m’étonnais de ne pas voir réellement d’hérédité à l’oeuvre dans Hereditary d’Ari Aster, j’en ai trouvé dans A history of violence alors que je ne m’y attendais pas : l’un des thèmes du film — parmi d’autres, ils sont nombreux — est la transmission génétique de la violence. Dans l’affrontement brutal dans les couloirs du lycée contre la brute qui le harcèle, le fils étonne tout le monde : son harceleur, ses camarades, ses parents, et surtout lui-même ; mais le spectateur, qui comprend à ce moment du film que son père a un passé extraordinairement violent, n’est pas réellement étonné : il voit dans cet acte de violence la manifestation des gènes transmis par son père.
Les scènes de combat sont courtes, peu nombreuses, mais particulièrement intenses ; je suis plusieurs fois revenu en arrière pour mieux les voir et les apprécier. Les scènes sont réalistes, la violence est exhibée sans faux-semblant.
Le film aborde presque autant que la violence le thème de l’identité. Quand on change aussi complètement et aussi longuement de manière de vivre que le personnage principal du film, on peut penser que l’on est plus le même que par le passé ; et pourtant, dans le film, on voit bien à quel point les gens peinent à accepter la possibilité et la sincérité de ce changement : que ce soit son fils, sa femme, ou ses ennemis mafieux, tous pensent que Tom Stall ne peut qu’être un rôle factice, un masque cachant son véritable visage, comme si l’ancien moi avait une prééminence sur le moi actuel. J’ai eu beaucoup de compassion pour le personnage lors de ces scènes où l’on voyait l’incapacité de son entourage à accepter qu’il ne jouait pas un rôle, qu’il est réellement devenu autre, que sa métamorphose est sincère — et quand bien même, dans les situations extrêmes de survie, sa nature instinctive reprend le dessus, toujours celle-ci est dominée par les valeurs de nouveau moi. La difficulté, ici, à accepter la métamorphose sincère du moi provient à la fois du dégoût moral du mensonge maintenu pendant aussi longtemps, et le visage odieux révélé par le dévoilement du passé de Joey : la trahison paraît si profonde, et l’épouvante face à la représentation d’un assassin mafieux, qu’il est encore plus difficile que d’habitude d’accepter que le passé est passé et qu’un être nouveau, reconstruit sur de nouvelles valeurs, peut émerger et se développer avec le temps.
La fin est réussie, suffisamment énigmatique pour encourager la réflexion et la méditation sur le film et tout de même assez cohérente pour donner un sentiment d’achèvement au spectateur. Tout comme dans les romans, les fins de films sont rarement réussis selon mon expérience. En y repensant, la fin de A History of violence me fait penser à la fin des Sopranos, qui m’avait un peu énervé sur le moment mais qu’avec le recul je trouve excellente : c’est aussi une fin qui donne un sentiment de satisfaction (une fois qu’on l’interprète : la crainte ne finit jamais, la tension sera toujours présente, la vie d’un mafieux tel que Tony est condamnée à être dans l’attente continuelle d’une tragédie, la paix et le bonheur sécurisant sont à jamais impossibles) et qui marque profondément le spectateur qui est amené à y repenser, à faire effort pour lui donner un sens, et par-là, à repenser à l’ensemble du récit.