Pour ce dernier opus, scénarisé par l'actrice principale, Julia Roy, à partir d'un roman de Don DeLillo, Benoît Jacquot campe résolument sur le territoire de l'entre-deux : entre deux genres cinématographiques, la romance et le film fantastique ; entre deux pays, la France, pays de la rencontre et de brefs retours, et le Portugal, pays d'implantation de la maison du couple, au bord de la mer ; entre deux femmes, l'ex toxique, courageusement incarnée par une Jeanne Balibar venimeuse à souhait, et la jeune épouse, mystérieuse et fascinante Julia Roy.
D'emblée, le film s'installe dans cet entre-deux, présentant une scène de rencontre aussi rapidement nouée que si le lien devait être sans lendemain, alors que cette jonction prendra un caractère radical et définitif. Rey, Mathieu Almalric en réalisateur tourmenté, entraîne sa proie au visage de madone italienne dans une maison qui semble suspendue entre la terre et la mer, tant elle est entourée de vent. Leur vie à deux se rapprochera bien vite d'une non-vie, tant seront manifestes l'évitement de l'autre, l'absence de paroles échangées, les malentendus lorsqu'une profération est tentée... Si bien que le suicide, à peine suicide, ne surprend pas : il aura suffi d'une accélération fatale, sur la moto qui suspendait d'emblée son conducteur entre la vie et la mort, tant celui-ci aimait à s'élancer dans une pure vitesse, comme abstraite, mais tueuse.
La mort ne revêtira pas plus un caractère définitif, ni tranché : un pont entre mort et vie est aussitôt jeté par la veuve éplorée, qui prend soin de placer, contre le torse de son époux défunt, un téléphone portable connecté et chargé à plein. L'essentiel du film se concentrera alors sur la demi-vie de la jeune veuve qui se cloître dans la maison de son amour, alors que la maison elle-même semble plus animée que son occupante, traversée de courants, de craquements... Le fantôme aimé ne tarde pas à se réinstaller dans ce lieu qui lui tend les bras et la vie à deux paraît presque en mesure de reprendre son cours, avec toutefois un peu moins de continuité, une incertitude plus grande en ce qui concerne la présence de l'autre. Un autre qui, bien que, par moments, insaisissable ou flottant, bénéficie cependant de davantage de réalité, aux yeux de celle qui reste son épouse, que les quelques êtres humains bien vivants - le propriétaire, une amie - qui tentent, en vain, de faire effraction dans le monde de plus en plus clos de l'héroïne.
On touche là, malheureusement, à l'écueil sur lequel le fragile esquif de ce beau "conte d'amour et de mort" risque de prendre l'eau : alors que cette évocation très radicale, épurée, d'une réaction extrême à un deuil, est des plus convaincante, le réalisateur crée un effet de suspens assez vain autour d'une chambre isolée, à l'étage. Porte généralement close, ouvrant sur une sorte de débarras (image aussi transparente que pesante du refoulé ? de l'inconscient ?...), et devant laquelle la caméra, ainsi que les pas de Laura, aiment à s'arrêter, sur fond de violons stridents et d'une musique qui semble écrite par Bernard Herrmann, le compositeur favori de Hitchcock. Surgit ainsi une forme de peur... Mais de quoi ? Du fantôme d'Amalric, qui n'a rien de menaçant ? De la folie, mais qui n'a pas de quoi susciter cette panique musicale ?
En accordant, par ces composants, une place trop grande à la dimension fantastique du récit, Benoît Jacquot dépouille en partie son film de la force dense, bergmanienne, qu'il aurait préservée s'il avait su se contenter de rester sur le chemin du phantasmatique et du psychologique. Et mieux vaut taire l'improbable performance finale par laquelle l'héroïne est censée sublimer son deuil...
On a ainsi le sentiment qu'il s'en serait fallu de peu pour que ce bizarre objet filmique devienne un grand film, proposant une approche intéressante de la thématique du deuil et montrant bien que le deuil, loin d'ouvrir systématiquement sur la nécessité de "faire son deuil", peut tout aussi bien déboucher sur de l'inacceptable. Intéressante subversion du titre, le "À jamais" clamant finalement un "jamais" au "jamais", à l'adieu définitif, et donc une promesse de "toujours" ; promesse maladroitement illustrée par la performance finale.