Il s'agit d'un travail d'analyse, rendu pour le cours de Cinéma Québécois, pour Mme. Ravary-Pilon, à l'Université de Montréal. L'idée est d'analyser un film étudié en cours avec une approche nouvelle. J'ai décidé de partir sur une étude du cinéma-vérité.
Cinéma-vérité, cinéma-direct, il s’agit d’un genre cinématographique naviguant constamment entre documentaire et fiction, auquel l’on donne beaucoup de noms.
Le cinéma-vérité, c'est celui de la reproduction la plus fidèle possible d'une réalité "vivante et saignante". C'est celui du constat brut d'une réalité sociale ou psychologique. Henri-Paul Senécal
Un cinéma filmant des non-acteurs, capturant leur réalité, leur crédibilité. Ce cinéma est souvent attaché à Jean Rouch en France, ainsi que Michel Brault et Gilles Groulx au Canada. Avec leur bagage en cinéma documentaire et leur envie de fiction, le film de Myriam Verreault et Henry Bernadet, A l’Ouest de Pluton (2008), semble lorgner du côté de ce genre cinématographique, pourtant propre aux années 1960. En filmant la vie banale d’un groupe d’adolescent, le film vient développer son histoire au fur et à mesure, sans jamais chercher la démesure, restant le plus terre à terre possible.
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Avant toute chose, il serait intéressant d’approfondir un peu plus la question du cinéma-direct, afin de bien le mettre en comparaison avec A l’ouest de Pluton. Henry-Paul Senécal vient lister plusieurs éléments importants qui font du cinéma-direct ce que l’on connait aujourd’hui.
Le cinéma-vérité qui s'organise autour d'un sujet préexistant au film et le cinéma-vérité qui s'essaie à improviser et à créer son sujet au cours du tournage. Henry-Paul Senécal
Le film de Myriam Verreault et Henry Bernadet penche bien plus sur la deuxième catégorie [...]. Henry-Paul Senécal définit encore plus le genre par sa technique. On utilise souvent un équipement suffisamment léger afin d’avoir une plus grande maniabilité pour filmer l’environnement (comme les caméras numériques utilisé pour A l’ouest de Pluton), l’équipe est réduite, souvent trois personnes (cadre, son, réalisation) et le son capturé en direct afin de ne rien perdre de la réalité (contrairement à la nouvelle vague française qui venait tout réenregistrer en studio). Par la suite, le montage vient construire le récit, de la même façon que l’on créé un documentaire. Bien que certaines idées puissent prévaloir le tournage, de nombreuses scènes sont retirées au fur et à mesure afin de créer un rythme dans le récit. On peut se poser la question de la véracité des propos diffusés. Pourtant, le montage cherche à nous montrer une version condensée de cette réalité.
Myriam Verreault et Henry Bernadet sortent tous les deux d’études de cinéma documentaires. Lors d’un interview avec Michel Coulombe (2008, p23), Myriam Verreault dépeint le début du projet comme l'envie de filmer de vrais adolescents. C’est en rencontrant divers jeunes québécois que l’histoire a pris forme. Les personnages sont imaginés à partir des personnalités de ces derniers, certaines séquences sont imaginées à partir d’histoire vécues par eux, mais il s’agit en général d’idées assez vagues. L’envie des réalisateurs est de laisser place à l’imprévu, comme dans un documentaire. Aucun scénario n’est réellement écrit, d’où la difficulté de faire financer le projet par des institutions cinématographiques. Le budget est assez faible, car il sert en majorité à payer le matériel. Les acteurs, non-professionnels, travaillent bénévolement. Le film est tourné autour du quartier de Loretteville à Québec. Les maisons utilisées pour le tournage ne sont autre que celle des parents ou des amis des deux réalisateurs. Le cadre de tournage s’ancre dans la réalité de ces jeunes, venant ainsi jouer leur propre vie. Il s’ancre dans la réalité de la banlieue au Québec.
Le tournage du film a duré 1 an et demi. La plupart du temps, les tournages s’effectués en fin de semaine, lorsque les adolescents n’avaient plus cours. L’investissement fût long pour les acteurs qui devaient garder la même coupe de cheveux, parfois annuler certains autres projets plus divertissants. Le montage prendra presque autant de temps avant d’arriver au film sorti en 2008. Le tout rappel beaucoup l’investissement que la production de certains documentaires peut engendrer, suivant parfois des personnages sur plusieurs années. En termes de cinéma de fiction tourné sur de longues périodes, exception faite de Boyhood de Richard Linklater (tourné sur plus de 12 ans avec les mêmes acteurs), on se retrouve plus souvent dans la catégorie du cinéma-vérité. Ce genre vient créer la fiction par l’imprévisible, développant par la suite de nombreuses idées pour arriver jusqu’à l’histoire connu. [...] Dans [la structure du film A l'ouest de Pluton], son rythme, on ressent la création d’une trame narrative au fil du film. Ce n’est qu’une fois la soirée démarrée que l’histoire semble prendre forme. Mais cela n’empêche pas la première partie d’être une réussite, sans schéma narratif précis. Ainsi, le film semble bien nager entre fiction et documentaire.
A l’ouest de Pluton a été réalisé par deux étudiants en documentaire. L’esthétique et le mode de tournage rapproche beaucoup le film de ce style de cinéma. C’est principalement dans sa première partie que le métrage dispose de séquences purement improvisées. Myriam Verreault et Henry Bernadet imposent parfois certains thèmes aux jeunes « non-acteurs », les mettant dans une situation particulière puis les laissant réagir de la façon la plus naturel. Tout d’abord, l’idée fût de prendre ce qui caractérisait chacun des jeunes pour construire leur personnage filmique en rapport avec eux. Celui qui arrive avec le skateboard se retrouve à être filmé dans plusieurs séquences à faire du skate, celui qui aime la guitare se retrouve à former un groupe de rock dans le film. Une séquence vient présenter les personnages face caméra lors de leurs exposés. Il s’agit d’une des premières séquences tournées et celle qui débute le film. Chaque adolescent part sur un sujet qui leur tient à cœur : le beurre d’arachide, Ben Affleck, la pêche ou encore Pluton. L’ancienne dernière planète du système solaire est un élément qui est venu se greffer au tournage grâce à l’exposé d’un des adolescents, passionné de science et d’astronomie. C’est en plein milieu du tournage que la planète a été radié du système solaire. L’idée de s’en servir comme d’une métaphore des adolescents incompris fût implémenté au film pendant la production. De nombreuses images d’archives sont par ailleurs utilisées, ce qui rapproche beaucoup d’une esthétique documentaire.
Le film se concentre sur beaucoup de personnage, les prenant au cas par cas ou en groupe, jusqu’à ce que certains se croisent. On peut parler d'un film choral. Un film qui vient pourtant capturer la vie banale d’adolescent, ne cherchant jamais à traiter de sujet grave comme le suicide. La caméra se met en retrait pour filmer un groupe de fille en pleine débat sur l’importance de la francophonie au Québec et s’approche des adolescents au fil du film. Plus ces derniers s’habituent à parler en sa présence, plus les réalisateurs peuvent tenter de nouvelles approches. Dans un style encore plus poussé, on peut comparer A l’ouest de Pluton au film Adolescentes (2019) de Sébastien Lifshitz. Le film suit sur plusieurs années la vie de deux amies durant leur collège en France. L’approche se veut plus documentaire chez Lifshitz. La caméra est d’abord largement éloignée de ces personnages, mais plus les années de tournage passent, plus la mise en scène peut se permettre de se complexifier.
Lors des séquences où la caméra est plus rapprochée des personnages de A l’ouest de Pluton, comme les scènes de repas sur l’escalier, on retrouve une approche bien plus cinéma-vérité. Un thème, un lieu est donné, les acteurs improvisent ou partent d'un texte, se laissant entraîner par leurs envies. On peut comparer ces passages à certaines séquences du film Seul ou avec d’autres (1962) de Denys Arcand, Denis Héroux et Stéphane Venne, tourné à l’Université de Montréal. Ce film suit de jeunes étudiants, dans un contexte bien différent de celui de A l’Ouest de Pluton, mais l’approche et la mise en scène du film peuvent rappeler par instant celle du film de Myriam Verreault et Henry Bernadet. On filme par instant la vie banale des étudiants montréalais des années 60. Alors que la caméra de Arcand dépeignait un monde étudiant en révolte, la caméra de Verreault et Bernadet suit ces adolescents dans leur époque, présentant leurs petits tracas du quotidien. On filme de vrais adolescents, non pas des trentenaire jouant des adolescents de 15 ans.
On ne faisait pas un film pour des ados, mais bien sur des ados. Myriam Verreault
Le film dépeint une vérité libre où les conséquences ne seront que l’objet de réflexions futures.
Lorsque la soirée débute dans le film, A l’ouest de Pluton semble se refermer dans une structure plus narrative, plus précise, plus claire. Chaque personnage se retrouve plongé dans une histoire, un lieu dans lequel plusieurs sous-intrigues se développent. Entre la recherche d’un tableau de famille perdu, une cavalcade dans les bois pour fuir la police, et un passage à l’hôpital avec un père bienveillant, le film complexifie sa narration. Le documentaire laisse place à la fiction pour rediriger ses personnages vers de nouveaux buts, renouvelant par la même occasion le film. C’est notamment avec l’aide de quelques acteurs professionnel que l’action se resserre. Le personnage du père est interprété par l’acteur Denis Marchand. Il joue l’intermédiaire entre les réalisateurs et les non-acteurs, dirigeant ces derniers par diverses questions, laissant les adolescents répondre selon leurs envies, leurs ressentis. Il y a aussi le personnage du grand frère, interprété par un jeune acteur qui donnera le ton à de nombreuses séquences de tension violente, comme celle sur le débat « Patates Gilles / Gilles Patates ». Ces acteurs viennent imposer une ambiance, la caméra filmant ainsi la réaction naturelle des jeunes face aux adultes interprétés par des acteurs.
Au cours du tournage, Myriam Verreault et Henry Bernadet ont réussi à tracer une histoire. Une histoire se passant sur une journée entière, mais tourné sur 1 ans et demi. Des contraintes scénaristiques qui ont amenées à beaucoup d'attention au niveau des raccords, pour les vêtements, les coiffures, etc. Pourtant, les réalisateurs considèrent n’avoir jamais étudiés le scénario avant de tourner ce film. Le hasard les a amenés à raconter divers sous-intrigues au sein d’une même journée, et le montage a permis de garder le tout cohérent. Des peines de cœurs, des embrouilles et des petits méfaits. Toute l’histoire s’est construite grâce à la personnalité des acteurs. Il est à parier que de nombreuses intrigues ont été retirées du film. C’est en grande partie au cours de l’année de montage que le film s’est réellement construit, imbriquant les différentes scènes entre-elles, créant ce film choral. Tout comme le documentaire, le cinéma-vérité construit son récit, sa narration, par l’intermédiaire du montage. Un film de fiction est généralement conçu à l’aide d’un scénario bien défini, et d’un découpage technique faisant la prévision du montage à venir. Le film de Verreault et Bernadet ne prend pas en compte se déroulé. Il construit son récit tout au long de sa production. Les propos sur Pluton furent rajoutés en cours de route, certains plans de coupe ont été utilisés pour créer des passages plus contemplatifs, permettant de rythmer le montage. Les premiers plans tournés sont ceux des exposés, et on les retrouve dès les premières minutes du film, car la plupart des séquences ont été tourné chronologiquement vis-à-vis du montage final. En ce sens, le film se joue de la réalité, mais le cinéma-direct joue lui-même de cela, n’étant jamais la copie conforme du monde réel. Le montage permet de raconter parfois tout autre chose par l’ordre, le choix des plans. Grâce à sa forme en deux parties, A l’ouest de Pluton ne fait que prendre plus d’importance en intégrant différents récits. Ce sont les petites histoires dont on se rappelle tous à propos de notre jeunesse, celle qu’on se raconte parfois en souvenir du passé. Le film retranscrit parfaitement cette idée, comme si nos souvenirs devenaient des images, un film. La naïveté de certains personnages, leurs espoirs brisés. Un des meilleurs exemples reste le discours du garçon timide, dont on entend la répétition du poème en amont dans le film. Lors de la séquence de la patinoire, on peut se sentir gêné ou triste pour le personnage. Mais tout paraît vraisemblable. Comme si les acteurs vivaient eux-mêmes ce genre d’expérience et les retranscrivaient sur le tournage. Même si l’on trouve peu d’informations sur la préparation des idées de tournage, on peut se douter que de nombreuses idées ont pu être proposées par les adolescents. En cela, la fiction semble démontrer une volonté de mettre en scène la réalité, le vraisemblable d’une vie adolescente.
A l’ouest de Pluton est un film mélangeant parfaitement le cinéma documentaire et le cinéma de fiction, que ce soit par le choix de ses acteurs, le tournage de certaines séquences, le montage ou encore la création d’un fil rouge tout au long de la production. Le film de Myriam Verreault et Henry Bernadet se rapproche d’une tradition du cinéma-vérité, comme Jean Rouch et Michel Brault ont pu le faire dans les années 60 : partir d’un sujet pour créer une histoire. En filmant les adolescents des années 2000, le film capte l’essence même d’une époque, devenant le film d’une génération, mais aussi un film sur des adolescents québécois dans les années 2000. Un film qui, même aujourd’hui, marque encore par son réalisme et sa simplicité.
Bibliographie
Coulombe, Michel. « Filmer à tout prix » Ciné-Bulles, volume 28, numéro 1, hiver 2010, p. 22–31.
Lamarre, David. « Jeunesse d’aujourd’hui / A l’ouest de Pluton de Myriam Verreault et Henry Bernadet » Ciné-Bulles, volume 27, numéro 1, hiver 2009, p. 48–49.
Senécal, Henri-Paul. « Qu’est-ce que le cinéma vérité ? » Séquences, numéro 34, octobre 1963, p. 4–9.
Des éléments sont tirés de la séance de présentation du film au Cinéma Moderne le 13 novembre 2021, présenté par Myriam Verreault.