Je n'ai jamais été objectif avec Michel Gondry. Certes, Eternal Sunshine of the Spotless Mind est un chef d'œuvre, mais ce n'est pas avec ce film que cette impression s'est scellée pour moi. En 2017, je découvre un film auquel je m'identifie immédiatement : La Science des Rêves. Devenu au fil du temps un de mes films préférés (pour différentes raisons qui échapperont à beaucoup, j'en conviens), le visionnage d'autre Gondry, de ses films à ses clips et courts-métrages (et encore il m'en manque beaucoup) confirme mon intuition. Je me sens proche de la patte artistique et humaine que propose Michel Gondry et son équipe à chaque projet. Le Livre des Solutions n'a pas échappé à cette règle.
Vu en avant-première au Comœdia de Lyon, le visionnage a été des plus plaisants. Rire, émotions, personnages attachants. C'est comme si, par la folie, le film atteignait plus d'humanité que n'importe quel autre film français. Ici, on suit Marc, un con, disons-le, un con, un lâche, un peureux et un égoïste, interprété de façon magistrale par Pierre Niney. Un personnage à première vue absolument détestable selon ma description, mais qui révèle toute son humanité dans ses faiblesses. Marc veut réaliser, il veut faire un chef d'œuvre, être aimé de tous, mais pourtant ne s'occupe de personne, où du moins que quand ça lui chante. D'une certaine manière, le personnage de Marc me rappelle beaucoup celui de Stéphane dans La Science des Rêves, interprété par Gael Garcia Bernal. Un personnage rêveur qui s'imagine dans un monde meilleur. D'une façon similaire, Marc vit dans son monde. Il se fit à ses propres lubies, quitte à s'éloigner du raisonnable. Il ne fait confiance à personne, puis se renferme petit à petit sur lui, tout en explosant de l'intérieur. Ce qui déborde, c'est l'imagination. Ce qui la contraint, ce sont les relations sociales, la dure réalité de la vie, les producteurs, la vie, la mort.
Plusieurs séquences m'ont touché au long de ce film. Déjà, cette vision terrifiante de la dépression, face à un écran aux images morbides, enfermé dans une chambre déplorable. Puis ce sont ces instants d'idées, de trop plein d'idées. Des moments purement Gondry, à base d'animation, de mécanismes déjantés. Puis l'humour, particulièrement savoureux tant il semble improvisé par moment, et surtout crédible. Des moments gênants, de déconnexion avec le réel. Puis il y a cette fin, une fin géniale qui m'a fait poursuivre un raisonnement. Celui d'un artiste. Non, d'un être humain qui, face à la réalité, ne cesse de la fuir. De se fuir. Un personnage qui ne changera jamais, car on est comme ça, et on restera comme ça. Puis un personnage qui finit par comprendre que l'on peut être aimé comme cela, et qu'il peut soi-même s'apprécier dans ses moindres défauts. Marc est sûrement une vision plutôt romancée de Michel Gondry, mais qui dépeint les craintes d'un réalisateur, se réfugiant dans son imagination pour fuir le regard extérieur. Pourtant, dans un élan de naïveté, il réalise des actes simples, magiques et fédérateurs.
Le film n'est pas parfait, qu'on se le dise. Beaucoup critiqueront le manque d'intérêt sur certains personnages secondaires, sur le côté agaçant de Marc, et sûrement sur d'autres détails. Mais je trouve cela cohérent, dans cette volonté que Gondry a de raconter ce que peuvent être des relations de tournage, face au chaos constructeur/destructeur d'une personnalité troublée. Il en viendra à chacun de juger son ressenti face à un tel protagoniste, à une telle construction. Mais c'est sûr qu'aimer Gondry est un plus pour rentrer dans le film. Et ça parlera toujours à ceux qui aiment le cinéma, qui aiment le regarder et qui aiment le faire.
En soi, Michel Gondry réalise ici quelque chose de plutôt naïf. Une histoire d'amour, des petits moments de vies simple avec la tante Denise, interprété par Françoise Lebrun, puis une vision de la vie complètement déconnecté de la réalité que nous expérimentons pour la plupart. Pourtant, ce que j'apprécie dans ces films naïfs, c'est qu'ils ne le sont pas du tout. Si naïveté veut se rapprocher de ce qui est simple et véritable, pourquoi vouloir s'en défaire en y ridiculisant ? Dans la naïveté aujourd'hui, il y a surtout l'idée que les choses les plus simples nous semblent stupide, mais parce qu'elles sont en réalité difficile à avoir. Alors Marc rêve, exaspère tout le monde dans son petit monde bien rangé qui pourtant se désagrège autour de lui. Car un monde, ce n'est pas un, mais plusieurs. Et c'est là qu'entre toute la difficulté. Ce que Marc pense avoir échoué en fuyant son film tout le long du film, c'est en réalité un succès pour d'autres, ou un moment de sommeil, un moment de colère, de bonheur, de vie. Car tout le monde ne peut être satisfait. Mais au moins, il est possible de réaliser des petits chefs-d'œuvre naïfs du quotidien. Des instants qui ne parleront pas à tout le monde, mais qui feront naître en ceux qui les reçoivent un peu d'espoir. Et c'est déjà beaucoup.