Disons-le d'entrée, Tomorrowland n'est pas parfait ni infaillible, mais il contient cette part de magie qui fait toute la différence. Comment décrire une joie aussi enfantine, euphorisante ? A chaque nouvelle scène, une idée de mise en scène stimulante, une situation imprévue ou une gestion de l'espace virtuose. Ce que l'ensemble procure, c'est le plaisir immense d'un film pour gosses où l'on se retrouve, sans même y penser, à vibrer devant une histoire comme si l'on avait de nouveau dix ans, avec cette même envie irrépressible d'en voir et d'en savoir plus, de suivre jusqu'au bout une héroïne dont on admire la ténacité. Quitte à croiser en chemin des personnages faussement familiers, comme cette vendeuse geek au look identique à celui d'Edna, la couturière des Indestructibles.
Réjouissant, Tomorrowland bénéficie d'une clarté qui lui permet d'élever le débat sans freiner sa progression, le réalisateur de Ratatouille confrontant les points de vue en même temps que ses personnages. Procédé fragile : à trop penser en direct, les protagonistes peuvent se contenter d'incarner une idée, voire un concept, comme c'était le cas pour le (volontairement) digressif Matrix Reloaded. D'ailleurs ici aussi, il est quelque part question d'une anomalie systémique, soit une personne qui menace la logique d'un système et l'empêche d'asseoir son emprise à 100% (chiffres à l'appui). Un(e) élu(e) ? Pas vraiment, et c'est tant mieux, le film n'abordant jamais la question de croyance au sens religieux du terme pour mieux parler de confiance, d'espérance en l'humain.
Et quand il le fait, c'est souvent via les actes d'un être non-humain, autre manière de s'éviter un sempiternel discours prophétique. Car il s'agit ici d'observer le monde, de l'envisager dans sa globalité, avec la certitude utopiste qu'une réunion de savoirs mène forcément à la sagesse. Une utopie dangereuse selon le regard que ses têtes pensantes portent sur une notion essentielle, qui lie tous les êtres et les choses en ce bas monde : le temps. Ici, l'utopie en question s'enracine clairement dans le scientisme, idéologie selon laquelle toutes les question humaines peuvent être comprises et gérées par le prisme de l'expérience scientifique. Opposant un désir d'optimisme à ce système décrit comme fataliste, Tomorrowland rejoint peu à peu deux chefs-d'oeuvre récents dans son ambition thématique.
Le premier est un film, Steamboy, aventures d'un pré-adolescent au coeur de l'exposition universelle de Londres. Un festival d'inventions et de spectacle où l'Homme, assoiffé de puissance mécanique, manque de faire basculer la révolution industrielle vers une ère de destruction à grande échelle. On y croisait un Robert Stevenson dont la présence, comme celle de Gustave Eiffel dans Tomorrowland, faisait basculer le film dans un récit uchronique. Le second, enfin, est un jeu vidéo : Bioshock, où une autre utopie scientiste voyait un millionnaire bâtir une cité sous-marine, Rapture, réunion des plus grands chercheurs, penseurs et artistes bien vite transformée en ville fantôme dévorée par ses erreurs.
Mêlant le point de vue juvénile du héros de Steamboy (mais y préférant un personnage central féminin) au désenchantement progressif de Bioshock, Brad Bird livre sans prévenir un superbe plan-séquence dont l'ivresse créative sera, intelligemment, le seul véritable émerveillement que nous aurons dans ce fameux "monde de demain". Toutes choses étant égales par ailleurs, le cinéaste trouve un équilibre d'autant plus remarquable qu'il est enchaîné à un rythme trépidant, immensément jouissif. L'homme allant au bout de ses idées, il signe un idéal de film pour gosses où l'amusement le dispute à l'implication émotionnelle la plus totale, le seul monologue du long-métrage invitant d'ailleurs le public à remettre en cause l'intégralité d'un spectacle tel que Tomorrowland...
Et sans se forcer, l'oeuvre s'achemine vers une conclusion bouleversante, Brad Bird brisant et raccommodant les rapports entre ses personnages à l'occasion d'un dialogue qui, assumons-le, a arraché quelques larmes à l'auteur de ces lignes. Visant le cœur après 2h de divertissement jubilatoire, le réalisateur livre un sacré beau moment de SF. Et si les yeux sont le miroir de l'âme, celle du film est à chercher dans ceux de la petite Raffey Cassidy, comédienne dont le jeu extraordinaire porte Tomorrowland vers des sommets d'émotion. En chemin, Brad Bird aura multiplié les grands moments, dont une séquence grisante où la temporalité devient une donnée corvéable à loisir, donnant toute la mesure des enjeux du récit.
Prendre le meilleur de soi-même, tenter de transformer ses idées en actes, et ne pas se satisfaire de sa seule pensée pour vérité : un message énoncé avec assez de générosité pour nous laisser quitter la salle ravis. Avec Mad Max : Fury Road, voici l'autre blockbuster du mois dont les héros contemplent les étoiles pendant que son cinéaste les atteint. A l'heure où Disney couvre ses arrières avec le Marvel Cinematic Universe et celui, au succès déjà assuré, de Star Wars, la démarche est franchement excitante. Oublions sa vilaine affiche et donnons raison à Mickey d'avoir laissé naître cette alternative : allez voir Tomorrowland, et faites-lui un triomphe.
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