Elle est là, enveloppée dans robe blanche qui ne luis descend pas jusqu'en bas, son chignon parfait, dos à nous, regardant l'horizon sur le devant d'un bateau. Chaque ligne qui se fait semble vouloir la rejoindre, comme si elle était le but, la clé, du tableau en perspective qui se forme sur l'écran.
Suzanne ne nous regarde pas. Tout le monde dit qu'elle ne regarde personne. Mais elle nous voit, jusqu'au plus profond de nos cœurs et nos âmes. Son drame, c'est qu'elle ne peux pas aimer. Elle trimballe ses tenues courtes, rencontre des garçons, se dénude et baise. Et puis nous quitte, dans un éclat soudain. Mais nous observe, nous sonde, nous analyse. Regarde les hommes qui flanchent et qui vivent, avec distance, tendresse, parfois mépris.
Son père est vieux, fatigué, usé par la vie, trimballe sa silhouette et sa tristesse naturelle dans tout le film. Il le lui donnerait tout. Il lui offre déjà l'amour. Elle le sait, et lui rend. Et c'est la seule personne à qui elle le rendra.
Derrière une vitre, la caméra scrute la silhouette de Suzanne. Il pleut. Elle est là, elle pleure, seule et courbée sur un banc de la ville.
A nos amours raconte un épisode d'une vie. Celui où l'on grandit, celui où l'on se cache de l'amour qui a grandit lui aussi et qui nous fait si peur. Il nous raconte les claques, les passions, les êtres aimés qu'on a peur de perdre, ceux qu'on perd sans s'être rendus compte qu'on les aimaient.
Tout avance, tout recule, tout éclate et tout se calme. On décroche. On raccroche. On aime. On hait. Les ficelles se délient, se rattachent, aboutissant à une image, une seule : papa discute avec sa fille, la voit partir assis dans le bus. Ce papa, c'est Maurice Pialat, il clôt son film sur son propre visage : signe que le cinéaste sait que maintenant, son héroïne a grandit, a compris, et que sa vie peut enfin se dérouler normalement. Que Suzanne n'a plus besoin de nous. Alors on s'arrête, on se tait, on dit au revoir, noir, musique. La vie commence.
A nos amours est un film de naissance. Qui remonte jusqu'au début de chaque chose qui nous fait, ce brouillon de personnes qui s'agitent et s'aiment, déjà. Avec une seule consigne, hélas : que les ados, bientôt des adultes qui se construisent, quittent pour toujours le champs une fois prêts. Cet instant, signe d'un commencement, est pourtant ce qui marque la fin du film. Et elle est la plus belle chose que Pialat eut filmé de Suzanne.