C'est un film que j'ai vu quand j'ai commencé le cinéma et qui m'a beaucoup marqué. Je vais essayer d'expliquer en quoi.
On pourrait dire que j'ai été choqué, formellement choqué. Déjà la construction du film : l'idée de tourner plein de scènes, voir lesquelles fonctionnent bien et faire un film avec en se foutant du scénario conduit logiquement à des trous. L'histoire est très dure à suivre, il manque clairement des bouts. Mais cela débarrasse de la question narrative, ce n'est pas ça qui importe, se sont les scènes en elles-mêmes.
Et des scènes marquantes il en a, beaucoup. Mais avant ces scènes il y a Suzanne. Déjà j'adore sa tête et sa façon de parler, comme dans "sans toit si loi" de Varda, elle n'est pas très "agréable", elle parle mal, est désinvolte et capricieuse, sa lubie du sexe et sa manie de changer de copain tout le temps ne participe à la rendre sympathique. C'est une ado qui vit une forme de crise existentielle, forcément qu'elle est chiante à vivre. Mais elle apparait ainsi beaucoup plus réel, elle n'a pas juste une particularité qui évoque le réel, elle est vraiment, même si ça passe par une forme de méchanceté vis à vis d'elle, aucune concession.
Cette violence dans la construction du personnage se retrouve dans les rapports entre eux, la famille est clairement dysfonctionnelle. On ne sait pas exactement pourquoi et ce n'est pas grave, on sent le couple fatigué, l'un qui se réfugie dans le travail, l'autre qui se contient pour un temps. ça pose une situation si réelle alors que les dialogues sont parfois un peu étonnant.
Une des premières scène qui m'a marqué c'est la discutions nocturne entre suzanne et son père. Alors qu'il paraissait très stricte, il y a une tendresse fabuleuse dans cette scène, on le sent protecteur, on sent l'amour réciproque qu'ils se portent par leur regard, la préoccupation sur la focette, la perte de l'innocence que vit suzanne expliquant les réaction de son père... Tout ce qui passe dans cette scène est hallucinant, c'est le Beau
Même si ça a été une des premières fois que je voyais le Beau au cinéma, j'ai vécu d'autres rares scènes d'autres films qui arrivent à être similaire. Les autres scènes dont je vais parler, je ne les ai jamais revu, jamais rien ressenti quelque chose de proche.
Déjà la dispute entre Suzanne et son frère et la crise de sa mère. Un tel déchargement de violence, c'est là que se situe le choc, je n'étais pas venu voir ça et le film me l'a donné quand même. On peut questionner la véracité de cette séquence (moi en tout cas ça ne m'évoque pas le réel en soit), avec la crédibilité déjà établie des personnages, le récent départ du père, on comprend la tension dans la famille. Rien que la violence en elle-même, son frère qui était censé devenir garant de la famille qui finit par devenir horrible et finis par détruis le semblant de reste de famille qui restait. Vraiment le bruit des gifles, le comportement de la mère, se sont des éléments très ancrés.
Et ça continu avec peut-être une des meilleures scènes que j'ai vu de ma vie, qui synthétise tout Pialat. Evidemment c'est la scène en impro totale de tout le monde lors du repas du retour du père. Le peu d'espoir de voir Suzanne se caser est bafoué alors que son mec (dont j'ai oublié de nom) à l'air, lui, vraiment investi et encore une fois, la violence des discussions, les insultes qu'envoie Pialat ! le "t'es devenu un tiroir-caisse" et son visage à ce moment, je le recasse souvent. Je vois pas trop comment plus expliquer mais tout le monde prend cher, c'est vraiment là où j'ai le plus senti ce qu'est la violence.
Comme si ça ne suffisait pas, il y une dernière scène, une seule phrase et deux regard : "t'es vraiment pas aimante". D'une certaine je me projette un peu dans suzanne (je parle pas d'identification, sa situation familiale et ses réactions n'ont rien à voir avec moi). Cette question d'être aimant ou pas pour le coup m'a vraiment suivi pendant 1 an, savoir si j'étais même capable d'aimer, que le problème vienne profondément de moi.
Par la suite j'ai revu le film un peu par hasard et j'ai été très surpris. Une scène qui ne m'avait pas marqué la première à particulièrement resonné cette fois. C'est quand Suzanne attend seule en regardant dans le vide avec la musique de Klaus Nomi. D'un coup j'ai senti tout le poids de la condition de Suzanne, pour moi elle se rend plus ou moins compte qu'elle ne sait pas aimer, que malgré l'amour de Luke, elle ne peut rien, le monde lui passe devant et elle ne peut que subir. C'est le désespoir absolu. Je conçois qu'en soit la vie d'une petite fille un peu triste est loin d'être la chose la plus dramatique de l'univers mais en étant aussi personnel, ça touche à l'universalité de l'adolescence.
Alors en plus de scène d'une intensité rare, une originalité formelle, le film m'a proposé une piste de réflexion centrale dans mon évolution psychologique, ce film m'a poursuivi longtemps. Alors maintenant que j'ai ma réponse sur le fait d'être aimant ou non, la réflexion me touche moins, de même que la violence du film m'a moins marqué la seconde fois, je n'en garde que le souvenir, un souvenir important car peu de temps après mon premier visionnage, je verrai "Conte d'été" de Rohmer, ce qui lancera pour de bon mon amour du cinéma.