Le portrait d’une mère courage dans l’enfer social du quotidien n’a en soi rien de révolutionnaire au cinéma : d’autres s’y sont déjà frottés, que ce soit chez les frères Dardenne ou plus récemment dans Ouistreham de Carrère, qui aborde lui aussi la cadence imposée aux femmes de chambre. À plein temps reprend ce tempo, mais en faisant la force centrale d’un récit qui va prendre la rythmique d’un thriller tout en traitant d’un quotidien réservé à des millions d’individus.
L’ouverture, superbe de maîtrise, accompagne d’une pulsation électro la folle pression qui pèse sur le banlieusard tenu de rejoindre le centre de Paris à l’heure, le tout en période de grève. À plein temps filme les obligations d’une mère célibataire, mais surtout la question du transport, cette zone grise inégalitaire qui ne concerne pas l’employeur et dilate les journées au-delà du supportable. La géographie dessinée par Eric Gravel (par ailleurs pris de la mise en scène à la Mostra 2021) impose avec effroi des lieux qui semblent aux antipodes, la maison devenant une destination perdue dans la nuit et la capitale un enfer saturé au rythme duquel on s’épuise.
Saluer le talent de Laure Calamy relève de la tautologie : la conviction avec laquelle elle entraîne la caméra qui ne la lâche pas une seconde impose le respect, avant de faire place à une empathie lorsque l’épuisement et le découragement s’invitent dans le marathon. Quelques traits d’écriture chargent certes un peu le dossier dans le cumul catastrophique de toutes les avanies sur une plage temporelle aussi réduite, mais les éléments strictement scénaristiques semblent surtout secondaires. À plein temps suit une femme lancée dans une course sans pitié qui multiplie les embûches et surtout les impasses, justifiant la crispation générale et les verrous de sécurités qui sautent les uns après les autres. C’est surtout la trajectoire d’une héroïne invisible qui cherche des solutions et encaisse avant de vaciller, et à qui on permet une seule sortie de route, un baiser qui achèvera de la croire illégitime sur tous les domaines.
(Spoils)
Le film prend une direction qui rappelle de manière de plus en plus nette Umberto D. de Vittorio de Sica : par l’accumulation des échecs et la solution qui s’esquisse un moment au passage d’un train, qui pourrait instantanément effacer la somme insurmontable des problèmes à régler. Et le dénouement sera finalement de même nature : ramenée à la raison pour ses enfants (comme Umberto le faisait pour son chien), Julie obtient certes la récompense d’un nouvel emploi, mais aucune solution pour pouvoir s’y rendre sereinement, d’autant qu’on lui a promis un rythme d’enfer. La machine est donc relancée, devant un manège qui tourne en rond, offrant une petite parenthèse enchantée aux enfants.
Et personne, en réalité, n’a envie d’entendre le réveil qui ouvrira le chapitre suivant.