À plein temps relève de cette esthétique de l’urgence appliquée à un sujet social, reflet de notre société contemporaine où la précipitation a pris le pas sur la vitesse, où le bruit a remplacé la musique – en témoignent les nappes électroniques qui composent la bande originale, gonflant artificiellement le rythme déjà insoutenable de la mise en scène et du récit. Son intérêt réside alors davantage dans les espaces que la caméra, embarquée dans divers moyens de transport, sillonne et restitue dans leur grouillante solitude : ces barres d’immeubles, ces rues ou avenues parallèles à la voie ferrée dessinent l’esquisse de vies, là, sans que ni nous spectateurs ni Julie n’y ayons accès. Plongée dans une aurore ou sous un crépuscule que nous ne parvenons plus à distinguer, la ville de Paris est peinte sous les traits d’un monstre dévorant les individus qui n’y appartiennent pas : les véhicules ont pour fonction paradoxale de figurer l’arrêt, le rouge de l’alarme – vite, les portes se ferment ! – ou des feux arrière met en garde contre un danger partout présent mais invisible.

La grève renvoie à ce temps d’inquiétude et de perturbation général, reflet d’un dérèglement que traverse et subit notre protagoniste sans jamais en devenir le héraut contestataire : les manifestations se font sans elle, les discours politiques ne l’intéressent pas, sinon les annonces à propos des horaires, des retards, des suppressions (de trains, d’emplois…). Julie échappe à toute angélisation d’une mère-courage en revendiquant un opportunisme voire une cruauté inattendus, prédatrice sociale que campe une Laure Calamy puissante. Une réussite bien plus aboutie et intelligente que son remake espagnol de 2022 (En los márgenes, Juan Diego Botto).

Créée

il y a 3 jours

Critique lue 6 fois

3 j'aime

Critique lue 6 fois

3

D'autres avis sur À plein temps

À plein temps
Cinephile-doux
7

Tout travail mérite galère

Du petit matin à tard le soir, Julie, l'héroïne de A plein temps, ne cesse de courir. C'est le prix à payer pour quelqu'un qui a choisi de vivre à la campagne, mère séparée avec enfants, et qui...

le 3 mars 2022

43 j'aime

6

À plein temps
EricDebarnot
8

Mergitur nec fluctuat

Depuis le temps que l’on dit et que l’on répète que le travail est l’un des plus beaux sujets qui soient, et que le cinéma, en particulier hollywoodien, évite de le traiter, c’est un bonheur de voir...

le 17 mars 2022

37 j'aime

5

À plein temps
Prince-Mychkine
9

Critique de À plein temps par Prince-Mychkine

Ce film est aussi génial qu'insoutenable. C'est typiquement le genre de film que j'aime aller voir au cinéma à sa sortie, déjà parce qu'un tel film gagne à être vu sur grand écran dans le noir, mais...

le 17 mars 2022

20 j'aime

Du même critique

Sex Education
Fêtons_le_cinéma
3

L'Ecole Netflix

Il est une scène dans le sixième épisode où Maeve retrouve le pull de son ami Otis et le respire tendrement ; nous, spectateurs, savons qu’il s’agit du pull d’Otis prêté quelques minutes plus tôt ;...

le 19 janv. 2019

89 j'aime

17

Ça - Chapitre 2
Fêtons_le_cinéma
5

Résoudre la peur (ô malheur !)

Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point...

le 11 sept. 2019

78 j'aime

14