À plein temps relève de cette esthétique de l’urgence appliquée à un sujet social, reflet de notre société contemporaine où la précipitation a pris le pas sur la vitesse, où le bruit a remplacé la musique – en témoignent les nappes électroniques qui composent la bande originale, gonflant artificiellement le rythme déjà insoutenable de la mise en scène et du récit. Son intérêt réside alors davantage dans les espaces que la caméra, embarquée dans divers moyens de transport, sillonne et restitue dans leur grouillante solitude : ces barres d’immeubles, ces rues ou avenues parallèles à la voie ferrée dessinent l’esquisse de vies, là, sans que ni nous spectateurs ni Julie n’y ayons accès. Plongée dans une aurore ou sous un crépuscule que nous ne parvenons plus à distinguer, la ville de Paris est peinte sous les traits d’un monstre dévorant les individus qui n’y appartiennent pas : les véhicules ont pour fonction paradoxale de figurer l’arrêt, le rouge de l’alarme – vite, les portes se ferment ! – ou des feux arrière met en garde contre un danger partout présent mais invisible.
La grève renvoie à ce temps d’inquiétude et de perturbation général, reflet d’un dérèglement que traverse et subit notre protagoniste sans jamais en devenir le héraut contestataire : les manifestations se font sans elle, les discours politiques ne l’intéressent pas, sinon les annonces à propos des horaires, des retards, des suppressions (de trains, d’emplois…). Julie échappe à toute angélisation d’une mère-courage en revendiquant un opportunisme voire une cruauté inattendus, prédatrice sociale que campe une Laure Calamy puissante. Une réussite bien plus aboutie et intelligente que son remake espagnol de 2022 (En los márgenes, Juan Diego Botto).