Alors que Jesse Eisenberg peinait à trouver satisfaction dans un script sur lequel il planchait depuis des mois, une publicité pour une excursion au camp d’Auschwitz avec déjeuner inclus apparut sur son moniteur. L’incongruité d’une telle invitation, mêlant horreurs du passé et conforts du modernisme, fut le déclic suffisant pour que naquisse A Real Pain. Un road-trip juste et touchant, ne tirant jamais sur les cordes faciles du pathos, et trouvant un rare équilibre entre humour, solennité, et émotion. Porté par Eisenberg lui-même, et un Kieran Culkin qui poursuit dans la lancée de Succession pour livrer une partition remarquable.
Dans une Pologne loin des clichés grisâtres qui fétichisent habituellement l’ère soviétique, pleine de couleur et de vie, d’un soleil contrebalancé par la mélancolie des morceaux de Chopin, notre duo entame un voyage vers leurs racines, à rebours de celui de The Brutalist. Et si les attendus du road movie sont bien là, ils s’accompagnent d’un questionnement sur le devoir de mémoire, sur la déférence qu’il faut avoir face aux atrocités du monde, et sur notre capacité à vivre malgré tout le poids d’un bagage dont on n’est a priori pas responsable. Mais ce dont nous sommes partiellement responsables, ce sont les réminiscences de ce passé que l’on laisse reprendre le dessus. De par notre apathie, de par notre manque d’indignation, de par notre choix de fermer les yeux et se concentrer sur un bonheur individuel. Mais cette politique de l’autruche n’est pas durable, et l’inaction va inéluctablement finir par ébranler les cocons que l’on a pu se créer, le grand tableau dictant n’ayant que faire des arrangements de chacun.
Le mal-être n’est donc pas seulement celui du décalage des personnages avec la tragédie de leurs ancêtres. Pour Ben (Culkin), c’est un sentiment d’impuissance, une irrésolution face à l’absurde de ce qui fût et de ce qui est, qu’il compense par une personnalité qui prend de la place, qui dans sa volonté d’affranchir les barrières de la réflexion par la crudité de ses lancées, se heurte au mur de ses propres paradoxes. Pour David (Eisenberg), c’est encloisonner sa dépression et ses névroses en s’effaçant dans le moule, en s’accrochant à sa femme et son enfant, et en gobant des cachetons pour occulter les questionnements existentiels qui resteront sans réponses.
A Real Pain ne propose pas de résolution à ses interrogations. Pas de miracle de développement personnel par un épisode d’une semaine. Tout juste revient on au point de départ, avec encore plus de doute. Une belle oeuvre.