Takeshi Kitano est un des cinéastes que j'admire le plus. Bien qu'il ait un style plus sobre aujourd'hui, accompagné d'un manque d'inspiration (traité dans son propre triptyque sur l'Art), l'homme ne cesse de me surprendre au fur et à mesure que je découvre ses méthodes de travail sur le tas, son instinct et sa poésie. Il est amusant de retrouver tout ce qui codifie son cinéma d'un film à l'autre, que ce soit les personnages mutiques, les protagonistes imperméables aux ressentiments, un montage expérimental, l'usage d'une violence décomplexée mais jamais gratuite, etc...
Mais le visionnage de A Scene at the Sea m'a troublé. L'approche est fondamentalement différente de n'importe laquelle de ses œuvres mais le goût amer sucré qu'il nous laisse, je le retrouve ailleurs, dans Kid's Return ou l'incroyable Jugatsu. On est loin d'une fin fataliste (bien que c'est justement la signification de l’océan pour Kitano) ou nihiliste, pour une fois personne ne se suicide ou décide de mourir dans les bras de la vengeance, mais ce n'est pas une happy ending comme j'ai beaucoup pu le lire ici et là.
(spoilers)
Il y'a quelque chose de terrible dans cette fin, cette mort off screen du protagoniste sous un ciel gris, aux vagues tristes, à la planche laissée à l'abandon. Rien dans le montage ni la narration ne prépare à cette perte, rien ne semble s'y attarder et pourtant on est en droit de se poser la question : est-ce nécessaire, tout simplement ? C'est pas un peu en faire trop ? Kitano a t-'il réussi à bien amener ce drame, à bien le penser ? Oui et non.
Oui, je ressens pour la première fois le besoin d'écrire une critique sur un film de Takeshi.
Le montage finale est magnifique. Débordant d'humanité, de petites joies d'un moment passé mais figé dans la photo. C'est pour moi clairement un des plus beaux moments de toute la filmographie du bonhomme. Ceci dit, je ne crois pas complètement que le film mérite cette si belle fin, parce qu'il la traite beaucoup trop différemment de tout le reste. J'entends par là que ses deux protagonistes nous deviennent sympathiques voir géniaux dans cette séquence, que l'on a pas ressenti durant le reste du métrage. Soit c'est voulu, auquel cas je dois revoir mon analyse, soit c'est le fruit de maladresses et je pencherais disons, pour cela. C'est mon ressenti.
Je m'explique. Le personnage de Shigeru n'est pas sourd-muet pour rien. Kitano l'a vraiment bien écrit : il est pensé comme un homme totalement hermétique à toute interaction. Pas parce qu'il est sourd-muet, parce que sa maladie symbolise qui il est. Il se refuse à s'ouvrir ou échanger avec les autres, que ce soit son collègue mais surtout sa copine, sourdette elle aussi. C'est avec l'océan qu'il la trompe. Qu'il se trompe lui-même. Il ne vit plus que pour cela, doit-il tout sacrifier sur son chemin pour y arriver, son travail, sa relation amoureuse, sa vie. C'est cette relation à sens unique qui encadre le film et bon dieu c'est génial. Ainsi, nous avons un protagoniste hermétique même aux spectateurs, car Kitano va jusqu'à très peu voir pas le filmer du tout lorsqu'il fait du surf, presque aucun close-up sur son visage, toujours filmé de loin, impossible de savoir ce qu'il pense, ce qu'il ressent. Ça aurait été brillant si ça n'avait pas été aussi le cas pour son amie.
Voyez-vous, le final marche parce qu'il fait un retour sur investissement. Il nous présente tous les personnages et s'adresse directement à nous. Heureusement, parce que je suis émotionnellement complètement détaché des deux héros. Et c'est à cause du personnage de la fille. Elle agit exactement comme son ami, à ceci près qu'elle interagit pour lui lorsqu'il doit demander quelque chose. Elle fait tout pour lui, elle le suit, le supporte lorsqu'il l'ignore et tape des sprints alors qu'elle s'adresse à lui, plie son linge et l'attend, l'attend, l'attend. Elle est filmée de près, elle lâche quelques larmes, mais ce n'est pas suffisant. J'ai ressenti le besoin de m’attacher à elle et de la comprendre pour être en phase avec le mur qu'est Shigeru, qu'on soit confrontés nous spectateurs à ce compagnon qui refuse d'être avec nous et préfère la mer. On ne sait jamais ce qu'elle pense, ce que signifient ses gestes ou ses larmes. Je vois que Kitano a tenté de beaucoup plus l'humaniser que Shigeru mais en résulte un personnages trop mystérieux. Impassible à la mort de son ami/amant dans tout le respect qu'elle témoigne, c'est peut etre l'unique fois où ça fonctionne.
C'est vraiment, vraiment dommage. Si ce personnage avait été celui auquel on s'identifie, la relation des deux aurait été beaucoup plus tragique et le final d'autant plus difficile à supporter pour nous, spectateurs occidentaux, face à cette belle tragédie. Shigeru est définitivement avec celui qu'il aime, le grand bleu, et sa copine sait cela. C'est beau et il faut penser à tous les moments passés ensemble. Mais difficile quand on ne comprend pas le personnage qui a survécu.
A tout moment je ne déclare que mon avis. Si vous avez des idées de comment aborder ce film différemment, je suis preneur !
A bientôt Takeshi, hâte d'en voir plus.