L’individu et l’Histoire collective.

Adapter le roman éponyme de Jérome Ferrari, un exercice périlleux au risque éternel de décevoir le public et parce que le film couvre la partie historique la plus déchirante et romanesque pour nous, contemporains corses, qui possédons notre propre représentation des faits. 

Contre toute attente le traitement des images violentes n’est pas destiné à galvaniser le spectateur dans une vision tranchée du problème corse. Ainsi ce sont les images du petit groupe qui impriment notre mémoire de spectateur à travers l’objectif du personnage principal, une blonde aux yeux bleus à l’encontre du cliché corse, que le réalisateur s’attarde à filmer en train de photographier d’abord son petit monde, puis l’étranger, pour réaliser l’universalité du lieu commun de la guerre fratricide (comme toutes) qui se joue à cette époque en Corse et en Yougoslavie. 

Nous sommes des spectateurs empêchés de nous identifier à l’un ou l’autre des personnages du fait de la distance entretenue par le réalisateur. Nous sommes touchés par les personnages et le sujet, mais sans être embarqués pour la cause. Tout indique dans le film que le ressenti individuel prime sur l’histoire collective.

Immanquablement, l’affranchissement du poids de la famille est nécessaire pour vivre. La liberté individuelle se gagne en se soustrayant à la communauté, au regard des autres. Son regard bleu à elle, n’est visible qu’assez tard dans le film puisque jusque là, elle est filmé de profil, de trois-quarts ou masqué par son argentique. La caméra est loin des visages, des actions, à distance des événements. Le personnage d’Antonia est loin de nous, rarement dénudé, dans des vêtements relativement sobres, contrairement à ses amies qui sont plus conformes à ce que l’on attend des filles et ce faisant, montrant plus leur personnalité expressive, mais façonnée par les hommes, tout autant que leur manque de recul. Elles n’existent dans le film que par leur attachement aux hommes, idiotes, soumises ou inconsistantes de par leur peu d’existence à l’image, à l’instar des mères ou de la mariée... Exceptés l’autre femme en mission et les jeunes filles du groupe de lycéens, seule Antonia bénéficie d’un rapport d’égalité avec la plupart des hommes, que ce soit à travers les discussions avec son père, son collègue journaliste, son ami ou son parrain. Elle tient tête et oppose ses arguments sans faiblir.

Les hommes sont légions, en uniforme, de jean ou en treillis contrastant avec la diversité des caractères physiques ou psychologiques (du reste, les filles aussi passent une partie du film en uniforme blue-jean). Une multitude de profils masculins qui constitue l’humanité, nuancée et complexe, tout en restant à distance de chacun, excepté peut-être de l'un d'eux, celui de la voix-off. À noter l'excellente sonorisation de la Piscine du Festival de Lama ce qui sert le travail remarquable du son. La parole, le silence, les chants et les chansons sont importants. Les moments où la musique interfère avec les dialogues, montrent que l’enjeu n’est pas tant de comprendre une histoire complexe que de la représenter dans un mouvement anti-clichés, comme lorsque la jeunesse corse s’amuse sur du rock punk, à priori à l’opposé des chants polyphoniques traditionnels, bien que sur le principe… la diversité des voix pour créer une harmonie.

Thierry De Peretti n’est pas de ceux qui portent un regard « compatissant complice » sur ce qui arrive à sa communauté. Sa Proposition n’est ni propagande, ni condamnation, c’est une représentation d’évènements par un enfant de l’art patrie, comme vus par un prisme spirituel : le cinéma. C’est le choix de s’éloigner pour gagner en liberté et relater un quotidien particulier représentant l’humanité. Un film qui fait réfléchir au lieu d'enthousiasmer. Pas un film facile.

nadja_nin
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le 11 août 2024

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