C’est le troisième film de Thierry de Peretti que je voie, après Une vie violente et Enquête sur un scandale d'État et c’est celui qui me retient le plus.
Il adapte un roman de Jérôme Ferrari (que je n’ai pas lu), mais il me semble qu'il doit coller d’assez près aux préoccupations et aux façons d’être (et de ressentir le monde) du réalisateur.
L’ouverture du film, faussement anodine, très quotidienne, prend par surprise et déconcerte. Au bout de dix minutes, nous voilà en pleine tragédie. Le restant du film est une reconstitution des vingt années (1980-2000) qui précèdent et qui nous amènent à comprendre comment on en est arrivé à ces larmes et ces silences. En même temps que la trajectoire d’Antonia, jeune photographe corse et personnage principal du film, il raconte l’histoire humaine et politique de l’Île de beauté dans sa dimension FLNC (Front de libération nationale corse), l’organisation clandestine en lutte contre l’État français. Ignorant presque tout de la dimension activiste de l’histoire corse de ces années-là (vingt dernières du XXème siècle), il m’a fallu beaucoup d’attention pour comprendre autant que possible cet aspect-là du film, les péripéties, actes violents, mises en scène glaçantes et assassinats qui jalonnent la période.
En 1980, Antonia (20 ans) est très amoureuse de Pascal (21 ans) qui, lui et ses 3 plus proches copains, font partie du FLNC. Donc, elle et ses deux copines tremblent pour leurs hommes lesquels, au fil des péripéties, sont emprisonnés, sortent de prison, puis y re-rentrent, etc.. Le climat du film est très mélancolique, pour ne pas dire sombre et même funèbre. On sait que tout ça va mal finir. La dimension "action clandestine" (avec cagoules et armes à feu) est assez marquante dans le film, mais ce n’est pas la seule. Antonia est photographe et elle cherche à exister en tant que telle. Elle ne veut pas seulement être "la femme de Pascal". Elle refuse de se laisser dévorer par cet amour pour un homme qui, lui, a choisi de consacrer sa vie à une cause qui apparaît clairement, au fil des ans, comme une utopie mortifère (où les armes parlent de plus en plus souvent et font taire les gêneurs ou les "traîtres" définitivement). La bande-son, presque toujours excellente, participe au climat désespéré et funèbre du film ; elle donne souvent le ton. Elle nous fait entendre des choses que la caméra ne montre pas, par exemple dans la séquence qui se passe à Belgrade (lors d'une guerre fratricide en Serbie / ex-Yougoslavie) où Antonia se rend, de sa propre initiative, pour y faire un reportage photographique... qui se soldera, pour elle, par un échec commercial, sinon professionnel. Comme photographe, elle voudrait ne pas se cantonner dans les sujets répétitifs et sans intérêt (mariages, assemblées générales, etc.). Elle voudrait que ses photos capturent autre chose que ce que les media, la télé, etc. montrent. Elle se demande si elle en a le talent. Elle doute d’elle-même. Et bien qu’elle se soit finalement séparée de Pascal, elle l'aime toujours, c’est l’homme de sa vie.
Je résume. Dans À son image, Peretti brasse trois grands thèmes : 1. une chronique du nationalisme corse à la fin du XXème siècle, 2. une réflexion sur ce que c’est qu’aimer vraiment quelqu’un, le risque que cela présente, pour la personne qui aime, d’être esclavagisée, "bouffée" par la personne aimée, enfin 3. une réflexion sur l’acte de photographier qui, fixant les scènes, les êtres qu’il voit, les « tue » photographiquement et les montre morts à ceux qui, ensuite, contemplent ces photos censées avoir capturé la vie.
Dans l’ensemble, les acteurs sont beaux, bons et bien choisis (il y a plein de choses que je n'ai pas dites sur leurs personnages pour vous laisser le plaisir de la découverte). Les chants corses sont puissants, tantôt joyeux (au début de l'opus), tantôt extraordinairement nostalgiques (à la toute fin). Le montage est travaillé, subtil. J’ai quitté la salle chagriné par le malheureux destin de la plupart de ces jeunes gens. Je pense que c'est un très bon film.