Bradley Cooper signe le troisième remake cinématographique de A Star is Born et fait l’éclatante démonstration de l’intemporalité de cette belle histoire. Il lui insuffle la fraîcheur et la puissance des grandes love story tout en le drapant d’une très pertinente modernité. Son regard neuf et très juste sur son époque offre au public un grand mélo populaire, de ceux qui emporte, désarmant de sincérité et d’émotion pure. De ceux qui restent.
Sa relecture du classique s’opère avec beaucoup de goût et une douceur infinie, tout en l’inscrivant puissamment dans notre époque. Ainsi la rencontre entre Ally et Jackson se déroule dans un cabaret de drag queens alors qu’elle interprète une vibrante version de la Vie en Rose de Piaf, premier des nombreux clins d’œil à son actrice. Un coup de foudre intense et brûlant habilement mis en scène.
Cooper a visiblement beaucoup appris des réalisateurs avec qui il a travaillé. Son talent saute aux yeux et fait vite oublier que c’est son premier film. On pense au Eastwood de Sur la route de Madison, Million Dollar Baby, Un Monde Parfait ou Gran Torino dans sa façon de traiter en profondeur les relations entre ses personnages.
Sa mise en scène est tout aussi remarquable, offrant de très jolis plans, discrets mais tellement évocateurs, et toujours brillamment éclairés. Sa caméra capte les intentions et les nuances des conversations, saisit chacune des expressions de ses acteurs qu’il transforme en protagonistes de tableaux urbains et élégants. Surtout il réussit une gageure en filmant comme rarement les scènes de concerts, à la fois excitantes et immersives. La première performance du duo Jackson/Ally sur Shallow, la chanson phare du film, est électrisante. Le regard que porte Cooper sur Gaga lorsque sa voix puissante embrase le stade suffit à lui seul à filer la chair de poule.
La musique est un imparable amplificateur de sensations et le fait qu’elle soit ici toujours jouée en live accentue encore plus l’effet des décharges émotionnelles qu’elle provoque.
Ce point d’orgue qu’est Shallow sonne comme un final mais intervient assez tôt dans la narration. Il précède une seconde partie en apparence moins forte, et nettement moins lumineuse. Mais A Star Is Born explore alors plus en détail les aléas du couple, la transition d’une idylle parfaite en une relation qui se tend et s’abîme. Alors que Ally voit sa carrière décoller, Jackson décline, se noie dans l’alcool et les drogues et ressasse seul son ressentiment. Mais Cooper n’insiste jamais trop lourdement sur les difficultés, les conflits qui gangrènent le couple. Il refuse le tire-larmes et les éclats de voix. Il préfère les ellipses aux cris et aux sanglots, le romantisme au drame. En revanche, il sait parfaitement comment laisser poindre progressivement le mal insidieux qui va lentement détériorer leur relation.
Ces situations plus intimes mettent en lumière l’excellence de la performance des deux stars du films, entourés par ailleurs de solides prestations des personnages secondaires (en particulier Sam Elliot en frère manager aux anciens traumas qu’il partage avec Jackson). Dans la peau de ce chanteur fatigué se noyant dans ses addictions pour tenir le rythme d’une carrière qu’il n’a pas vu décliner, Bradley Cooper s’offre un de ses plus beaux rôles. La manière dont son regard sur Ally change au cours du film, passant de la fascination à l’amertume, mais sans que jamais l’amour ne s’efface tout à fait est éloquent. Et c’est aussi, surprise, un putain de chanteur…
Mais parlons donc de Lady Gaga, pour qui A Star is Born est une expérience aussi méta que cathartique. Le parcours de Ally multiplie les références au sien, de ses modestes débuts à sa starification en icone pop qu’elle maitrise autant qu’elle subit. Mais au-delà du jeu de miroir entre la fiction et la réalité, elle explose surtout aux yeux de tous comme une grande actrice, et convainc là où toutes ses consœurs aux ambitions dramatiques ont échoué. Madonna, Beyonce, Rihanna, Kylie, J-Lo… elles se sont toutes essayées au cinéma sans jamais pouvoir prétendre à autre chose qu’au statut d’une chanteuse qui joue la comédie. Après son passage remarqué en comtesse gothique, mythomane et sanguinaire dans American Horror Story (qui lui valut un Golden Globe), Gaga démontre qu’elle seule peut à la fois remplir des stades et un rôle. Et elle est magistrale dans celui d’Ally. Les Américains diraient « she’s natural », tant son spectre dramatique semble large. Qu’elle joue la fragilité ou la force, la timidité ou l’autorité comme son personnage l’exige, c’est toujours avec beaucoup de retenue et d’intelligence. Certes l’alchimie avec Bradley Cooper est évidente, et il est flagrant que tous deux se portent mutuellement, mais Gaga fait preuve d’une maturité et d’une profondeur insoupçonnée dans son interprétation. Expressive et subtile, elle bouleverse déjà dans les scènes de comédie. Alors quand elle se met à chanter…


Traversé par de nombreux passages musicaux qui sont autant de tubes, habité par le voix rauque de Cooper et celle surpuissante de Lady Gaga, A Star is Born est la rencontre parfaite entre un mythe hollywoodien, l’inspiration d’un metteur en scène, des chansons instantanément cultes et la magie d’un couple de cinéma sublime. Il fera peut-être fuir les cyniques, mais il fait indéniablement parti de ces films qui se voient et se revoient, et vous réchauffent le cœur. Et parions que les cyniques verseront une petite larme lorsqu’ils tomberont pas hasard sur A Star is Born…

Thibault_du_Verne
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le 5 oct. 2018

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