" Quand la Chine s'éveillera ... "

C'est un tableau en 4 temps que nous propose Jia Zhang Ke. 4 temps qui se croisent mais sans l'artifice des films chorals à la française. Les personnages de ces films mi-fiction, mi-réel, ne se croisent que furtivement. L'important n'est pas de tirer un fil entre eux mais de créer un tableau (quasiment) exhaustif d'une Chine en mouvement, de ses villages ruraux, à ses usines inhumaines, le chemin s'écrit. Basculant d'un réel pesant, parfois effrayant à un accès de violence, toujours brutale, déviant parfois dans l'imaginaire, le film parvient à créer une osmose où surgit l'inacceptable, dont on ne sait que penser, figés sur nos sièges: fascinés et terrifiés. On a beau connaître le schéma dès le premier personnage, on est toujours surpris du passage à l'acte, suivi de rencontres bestiales au bord de la route. C'est une Chine qui rampe comme un serpent, archaïque mais sinueuse, ou qui se traîne à la chaîne comme des bœufs, gigantesques mais en route vers l'abattoir, la mort.


Longtemps Jia Zhang Ke a étudié les faits divers qui devinrent ensuite la matière de son film, où chaque plan a sa force propre, sa grâce imbibée de gris où surgit tout à coup le rouge sang. Il gicle, toujours, il s'écoule lentement, la caméra ne nous l'épargne pas, nos sursauts sont fréquents. De l'écrasement à l'humiliation, suit le passage à l'acte. Il y a là un regard acerbe sur une Chine où l'art suit les personnages (un petit opéra de rue que croise la réceptionniste) mais où l'individu est abandonné, tabassé, laissé pour compte. Le père est loin de sa famille, toujours en mouvement, fuyant l'ennui. Cherchant l'argent. Le villageois vindicatif n'est pas écouté, est lynché, il devient tigre. La femme est réduite à l'état d'objet sexuel, elle s'y refuse. Quant à la jeunesse, seule, rejetée, traitée comme une masse mouvante et malléable, elle perd ses illusions. C'est la moins violente pour la société, la plus violente envers elle-même. Elle ne rêve plus. Cette Chine qui monte et ploie dans le même temps, plus du tout.. Un seul mot d’ordre à la fin de ce film étrange, prenant, parfois magnifique, où l'on est sans cesse pris à la gorge: "quand la Chine s'éveillera", n'oubliez pas "le monde tremblera".

eloch

Écrit par

Critique lue 578 fois

20
9

D'autres avis sur A Touch of Sin

A Touch of Sin
B-Lyndon
5

A Body on the Floor

Bon, c'est un très bon film, vraiment, mais absolument pas pour les raisons que la presse semble tant se régaler à louer depuis sa sortie. On vend le film comme "tarantinesque", comme "un pamphlet...

le 14 déc. 2013

80 j'aime

45

A Touch of Sin
SanFelice
8

Sombres ombres chinoises

La violence. Ce film est un film sur la violence. Une violence qui ne se cache pas, qui n'est pas esthétisée. Une violence qui débarque, comme ça, brutalement, sans prévenir. Un fusil, un couteau qui...

le 22 mai 2014

58 j'aime

7

A Touch of Sin
steka
8

C'est loin la Chine ?

A Touch of Sin est un film qui désespère de notre temps, de ce que la mondialisation marchande a fait de nos sociétés; de comment ont été systématiquement détruites des cultures millénaires et...

le 11 févr. 2014

39 j'aime

6

Du même critique

Juste la fin du monde
eloch
4

Le cinéma de Dolan est mort, vive le cinéma !

Qu'il est difficile de s'avouer déçue par un cinéaste qu'on admire beaucoup et dont l'oeuvre a su nous éblouir, nous toucher, nous transporter. Oui, je l'écris, ce dernier Dolan m'a profondément...

le 21 sept. 2016

118 j'aime

15

The Voices
eloch
7

"Sing a happy song"

Marjane Satrapi a été sélectionnée au festival d’Alpe d’Huez début 2015 (qui s’est déroulé du 14 au 18 janvier) pour son dernier film. Disons qu’au premier abord ça ne ressemble pas vraiment à la...

le 20 janv. 2015

91 j'aime

7

Chungking Express
eloch
10

" Hier, on se regardait à peine ... Aujourd'hui nos regards sont suspendus "

"Chungking express" est un film que j'ai trouvé absolument merveilleux je dois bien vous l'avouer, je suis sortie de la salle où j'ai eu la chance de le voir pleine d'une belle joie, de l'envie de le...

le 27 févr. 2013

90 j'aime

24