Il y a un travail étonnant de focales sur ce film, qui offre sans cesse l'image d'un corps au premier plan et autour d'un trouble ou d'un flou - l'affiche en est un exemple. Ce qu'on ne distingue plus, c'est le monde, presque impossible à appréhender. Mais cet effet nous en dit aussi long sur ces personnages à courte vue. Ici on s'empare d'une arme, de l'argent à portée de main, toujours d'une solution directe et rapide, sans perspective, sans vision globale, sans recul.
Parce qu'il faut reconnaître que le capitalisme sauvage de Jia Zhangke nous accule. Tout est le monde est au bord du précipice, un pied dans le vide. Le message est scandé, haut et fort, au travers de ces quatre films qui n'en font qu'un : lorsqu'une femme se fait littéralement frapper à coups de liasses de billets ("je vais te tuer avec mon argent"), quand on voit des vaches parquées à l'étroit à l'arrière d'une camionnette (figure récurrente), quand on découvre les conditions de vie d'une mère, restée au pays.
"A touch of sin" navigue joliment entre le film documentaire (une suite d' À l'ouest des rails) et une esthétique crépusculaire et quasi apocalyptique. Cette Chine, on s'en cache à peine, c'est l'enfer sur terre. Prostitution, mafias en tous genres, petites frappes prolétaires, grands patrons cyniques, corruption etc etc. Les défilés militaires ne sont plus ceux de Mao : dorénavant des jeunes filles marchent au pas, casquettes étoilées, vestes de camouflage et mini jupes dans des night-clubs de nouveaux riches.
Là où Jia Zhangke n'est peut-être pas le plus fin, c'est en procédant par accumulation : ses films, si on les prend comme des courts, traduisent une certaine mécanique, une poussée de fièvre qui conduit inéluctablement à la violence la plus brute, comme le fait (mais autrement) un Tarantino par exemple - pas de violence jouissive mais nécessaire et laborieuse. Il y a quelque chose de trop systématique dans cette démarche qui a l'avantage de ses inconvénients : user nos nerfs, oui ; surprendre, plus vraiment. Tout est précaire donc fabriqué. Le but est pourtant bien là, JZ veut montrer (donc il n'y a plus grand chose à voir), l'injustice, la violence morale, faire mal. Cette fois le hors-champ ne viendra pas nous épargner. Le film a tendance à brandir son slogan, à crier pour se faire entendre.