Tobias Lindholm semble aimer les dilemmes, les situations où la vie d'homme, l'honneur et/ou l'argent sont en jeu. Dans son précédent film, Hijacking, qui avait déjà pour acteurs Pilou Asbæk et Søren Malling, des marins étaient pris en otage sur leur navire commercial et l'un d'eux tentaient de faire le pont entre les revendications des pirates et le souci uniquement économique de son patron. Le réalisateur parvenait à ne pas alourdir son récit en traitant avec une adresse certaine les va-et-vient entre le bateau et le siège de l'entreprise, au Danemark. Voici qu'il réitère ici en proposant dans sa première partie, radicalement séparée d'avec la suivante (le film est bien là un diptyque alambiqué - la première partie est dans deux lieux et avec deux personnages différents -), un double regard sur son couple principal : le quotidien violent du mari (et quelle entrée en matière que cette brutale explosion de mine qui aura tôt fait de nous faire sursauter !), commandant d'une compagnie envoyée en Afghanistan, et celui angoissé et débordé de l'épouse, restée garder les turbulents enfants dans la maison familiale. Entre coups de fils brefs et coupe de plans, Lindholm parvient avec justesse à relier les époux et à nous donner dés lors une profonde empathie pour ses personnages (et ce, grâce à des scènes toute simples, banales, celles du quotidien d'une femme qui s'occupe de ses enfants et celles du quotidien d'un homme qui jongle sans cesse entre ordres de missions et dangers de mort).
Mais voilà qu'une mission déraille, qu'une attaque inattendue est lancée et que le bataillon, pris au piège, encerclé par l'ennemi, ne sait que faire. Avec un réalisme hallucinant, Lindholm nous plonge dans le chaos de cette scène centrale, décisive, celle qui articulera toute la suite de son film, et, tout comme les soldats, nous scotche au point d'oublier, dans la précipitation et la peur, tout ce qu'il s'est passé. On ne sait plus quels ordres a émis notre héros pour annihiler un ennemi que le réalisateur se garde bien de nous montrer (l'ennemi est invisible, pour ne pas donner d'avis au spectateur lors de la suite du film, et pour le perdre encore plus dans le chaos bruyant de la scène, moment épique).
C'est par cette scène centrale que se joue tout le reste, que se rejoignent les deux parties du films, que se retrouvent les époux. Retrouvailles qui devaient n'être que joie et soulagement mais que le regard inquiet du mari accusé par sa hiérarchie de crime de guerre et renvoyé dans son pays pour comparaître devant la cour trahit vite ; sa femme n'est pas dupe. Les enfants, disparaissent durant toute la seconde partie, alors que le réalisateur semblait les avoir enrichis de traits de caractère et d'intrigues secondaires en apparence peu utiles. Mais c'est pour mieux les faire revenir en toute fin de film dans un plan simple, auquel on s'attendait beaucoup, mais qui trône avec cynisme et fatalité
sur le jugement positif de la cour. Là encore, ce qui ne devait être que joie et soulagement est trahi par un regard final qui, loin de donner un jugement moral (on laissera au spectateur le soin de se faire son avis sur toute cette affaire), sème un doute d'une rare intelligence, à l'image du film entier.