Dans le contexte de la décennie noire algérienne, Abou Leila transpose la folie d’une époque dans le corps d’un homme.
Ce contexte n'est que vaguement esquissé, le réalisateur n'ayant pas l'ambition de faire un film historique sur cette époque complexe et dense. Pour la résumer très succinctement : Il s'agit d'une décennie de guerre civile entre l'armée gouvernementale et des groupes terroristes islamistes, la violence règne, la police algérienne n'était elle-même pas prête pour ces affrontements radicaux. Or, Amin Sidi-Boumediène est un cinéaste, un cinéaste qui présente ici son premier film, certes, mais déjà un grand cinéaste. C'est donc intelligemment qu'il a décidé de faire un film sur cette période qu'il a lui-même vécu pour la faire ressentir au spectateur, pour lui faire ressentir ce chaos, cette insécurité, cette violence qui se déchaîne dès la première scène lorsqu'un homme qui nous n'est pas présenté abat froidement un autre homme qui nous est tout autant inconnu. La violence est là, incompréhensible, implacable.
Abou Leila est une sorte de thriller cérébral dont les quelques moments violents seront extrêmes. Cette cérébralité se retrouve à travers le montage (de Amin Sidi-Boumediène lui-même, sans surprise lorsque le générique de fin apparaît) qui va tout faire pour imposer un doute quasiment cartésien au spectateur quant à la réalité ou non de ce qui lui est présenté. Le film fonctionne par des séquences qui m'ont parues être de véritables blocs qui prennent le spectateur en otage en lui imposant un mystère allant jusqu'à l'identité des deux personnages principaux. Des mouvements de caméra magistralement opérés et pourtant si simples permettent de mettre en place une tension de chaque instant. Dans un même plan, la folie et l'hallucination peuvent apparaître en plein soleil grâce à un simple mouvement latéral de la caméra. La rétention d'informations et l'épaisseur du mystère savamment entretenu grâce à des hallucinations du personnage, voire à un mélange de temporalités, nous gardent en haleine pendant ces deux heures quinze qui passent comme une seule.
Puis ce dernier tiers de film qui se passe dans un désert. Amin Sidi-Boumediène ne cherche pas à le magnifier, l'image est d'apparence très réaliste alors que le doute s'insinue mieux que jamais à travers la folie, cette fois totale, du personnage (la folie continue et s'accroît en dehors du contexte urbain, le personnage fou est seul et face à lui-même dans ce désert, il est temps de lâcher les chiens : cette fin de film sera d'une ambition folle). Dans ces dernières séquences, l'audace de l'auteur apparaît au grand jour, poussant son ambition jusqu'au bout, la notion de réalité s'évanouie plus ou moins et lorgnerait presque du côté du fantastique à la Jacques Tourneur. Le hors-champ de ce film est très bien pensé et Amin Sidi-Boumediène en ce qu'il m'apparaît d'ores et déjà comme un auteur particulièrement doué n'oublie pas que le son doit précéder l'image pour exciter l'imagination du spectateur.