Imaginez David Lynch évoquant la décennie noire de l'Algérie. Abou Leila, premier long-métrage d'Amin Sidi-Boumédiène, ressemble un peu à la vision que l'on pourrait imaginer de la part du cinéaste américain. Mais Abou Leila n'est pas qu'un film où les limites entre la réalité et la fiction s'estompent peu à peu, c'est aussi un road-movie, un thriller psychologique, un film politique, un western et même ... un Buddy Movie. Le film fonctionne surtout de manière allégorique et métaphorique, réincarnant la folie et la sauvagerie de tout un pays, durant les années 90, dans l'esprit malade d'un homme qui a trop vu d'horreurs pour ne pas en perdre la raison. Le propos est sacrément ambitieux mais le pari est spectaculairement tenu, nonobstant une longueur peut-être excessive du métrage, bien que peu de scènes paraissent véritablement inutiles. Porté par une mise en scène brillante et les paysages somptueux du Sahara, le film s'enfonce toujours plus au sud, là où les cauchemars et les hallucinations ont de l'espace pour s'exprimer, jusqu'à faire se rejoindre animalité et humanité dans plusieurs scènes choquantes et remarquables par leur intensité. Amin Sidi-Boumédiène est scénariste mais aussi monteur, et très talentueux en ce dernier domaine, gardant au film, malgré ces changements de direction incessants, une fluidité sidérante. S'y ajoute une direction d'acteurs parfaite, permettant au déjà connu et charismatique Lyes Salem (également réalisateur) et à l'inconnu Slimani Benouari de montrer leur palette étendue de comédiens. Avec ce film, Amin Sidi-Boumédiène souhaitait également remettre en question la masculinité algérienne et montrer la fragilité des hommes. Mais ce n'est que l'une des innombrables facettes d'Abou Leila, d'une richesse thématique inépuisable.