« Je me rendais compte mais ça comptait pas »

Catherine Breillat réussit, avec Abus de faiblesse, à rendre la persécution que subit Maud tout à la fois explicite et insidieuse, massive et incertaine ; elle redouble la violence physique d’un corps qui devient étranger à lui-même avec une violence morale qui enferme la femme dans une caisse de résonances dont les extrémités sont ceux de son domicile. La caméra ne parcourt jamais l’appartement pour nous en donner une vue d’ensemble ; elle se contente de capter la réalisatrice dans un environnement oscillant entre l’oppression et la sûreté, à l’image du lit et des draps dans lesquels elle se réfugie et avec lesquels elle fait corps, sans que cette fusion apparente n’élude sa fragilité congénitale. Soit une collection de vignettes dont les mouvements résultent du choc d’énergies opposées.


Au cœur du long métrage réside un paradoxe : la force intérieure et la détermination de Maud semblent divulguer voire alimenter le déni dans lequel elle vit. Son calme et sa vigueur apparaissent doubles : tels des indices d’une solidité intérieure et tels des aveux d’une incapacité à réagir. « Je me rendais compte mais ça comptait pas », affirme l’héroïne en clausule, victime et témoin d’une dépossession consciente et inconsciente d’elle. Catherine Breillat parvient à représenter le trouble d’un être-là absent ou incomplet qui s’appuie, comme une tutelle, sur la présence d’un homme défini par sa force brute. La toxicité de leur relation articule également une amitié sincère et une exploitation inquiétante. Le travail du son s’avère ici digne d’intérêt : la sonnerie du portable, qui ne cesse de répéter encore et encore sa mélodie ou ses vibrations, insiste sur la dépendance néfaste qui s’établit entre les deux personnages principaux sans poser d’axiologie rassurante : qui joue ? qui est dupé ? Ni bien, ni mal, seulement de l’humain que l’on sonde et que l’on représente.


Maud dit à Vilko qu’il ne connaît que deux endroits : les palaces ou les prisons. L’entièreté du film, comme les intériorités qu’il parcourt, obéit à cette distinction entre le luxe et le dénuement, la richesse et la précarité, la préservation et l’exposition à la cruauté. Porté par deux acteurs exceptionnels, Abus de faiblesse met en lumière le trouble d’un état qui échappe à la raison commune ; il constitue l’une des plus grandes réussites de sa cinéaste.

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le 7 juil. 2021

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