Achille et la Tortue par busterlewis
Il est intéressant de comparer les deux derniers films de Takeshi Kitano: Achille et la tortue et Outrage. Le premier est drôle et poétique, décalé, tendre et touchant, le second est direct, violent, brutal, acerbe et tranchant. Ce sont les deux facettes du même artiste. Outrage serait la partie visible du cinéaste, la traduction sur l'écran de son visage dur, impassible, presque immobile. La dureté de son expression faciale. Tandis qu'Achille et la tortue n'est autre que l'auteur qui s'ouvre, qui ose se confier et qui se moque, qui critique ses talents de peintre (car ce sont les peintures de Kitano que l'on voit dans le film).
De toute façon, Kitano est constamment habité par la figure du double: il est Beat Kitano, ultra-connu et ultra-présent au Japon ! Et il est également Takeshi Kitano, l'artiste adoré en Europe, enfant chéri des festivals européens. Des films comme Hana-Bi et Sonatine sont de véritables chefs d'oeuvres, poétiques, hors du temps, drôles et violents.
Dans Achille et la tortue, point de violence mais de la peinture, l'Art. Très étrangement, Kitano se tire dans un sens une balle dans le pied ou plutôt il plonge son film dans une pensée très terre à terre. Ce qu'il nous dit, c'est que l'art en soit ne sert à rien. Le personnage de Kitano se coupe de tout et l'art provoque tous ses malheurs. Ses parents se suicident, sa fille se prostitue, l'un de ses collègues, étudiant en art, se tue en pleine "création", il néglige son emploi, etc. L'art, ici, est destructeur et vain, et pourtant, Kitano ne cesse d'en prendre soin, comme une bulle de réconfort qui protège le personnage principal. Ses peintures ne sont jamais reconnues, il ne trouve jamais son style mais cependant, il ne peut s'empêcher de peindre, comme on ne peut s'empêcher de respirer. Il préfère peindre plutôt que de manger. Il préfère sacrifier les siens au profit de son art que personne ne reconnait (personne n'achète ses toiles, il est toujours en retard dans les "mouvances" ou bien il manque de créativité).
Mais jamais Kitano ne porte un regard définitif sur l'art et sur son art. Il sait que son avis peut changer ou que c'est "simplement" son avis. C'est pour cela que sa caméra garde une certaine distance critique et c'est pour cette raison que Kitano ne peut se retenir de rire de lui-même, de montrer de façon burlesque l'acte de "création" de l'artiste. Le plus important pour le cinéaste japonais est certainement de ne pas se prendre au sérieux. L'art n'est rien d'autre que le meilleur moyen d'expression d'un individu qui se tient en marge de la société. Kitano a conscience de cette excentricité et il en joue tout au long de son métrage.
Achille et la tortue est tendre, drôle, poétique, charmant, parfois un peu long, parfois un peu opaque, mais Kitano, depuis quelques années, se met à réfléchir sur son propre art. Comme si, d'une certaine façon, il avait fait le tour de la question et qu'aujourd'hui, il cherchait à se remettre en cause.