En France, il semblerait que le film de genre ne puisse accéder à une certaine forme de reconnaissance et de considération que lorsqu'il est animé par quelque chose d'autre que sa nature profonde.
La légitimité critique ne s'acquiert donc pas par la seule qualité du spectacle, de l'épouvante, du suspense, de l'horreur ou encore de la survie : encore faut-il que le genre illustre un sous-texte, une vision du monde, un engagement, un message politique, social ou sociétal. Et c'est parfois une sale manie.
Car si c'est parfois formidable quand c'est réussi, quand cela l'est moins, on ressent soudain l'argument fantastique comme une béquille masquant l'absence de finesse du propos, ou encore comme une sorte d'alibi, de la part de réalisateurs qui ne goûtent que du bout des lèvres un genre qu'ils n'ont pas l'air d'apprécier outre mesure.
Où situer Just Philippot dans tout cela ?
C'est difficile, à tout bien considérer : car avec La Nuée, qui a joui d'un accueil pour le moins bienveillant en 2021, le genre n'était embrassé qu'avec prudence. A tel point que l'éclairé qui se réclame cinéphile en venait à convoquer le fantôme de David Cronenberg pour ne parler, finalement, que d'un énième drame à la mode sur la condition agricole se rapprochant de Petit Paysan... Et d'un tract sur la charge mentale d'une mère célibataire.
Et puis, il faudrait quand même le dire : non, des gros plans répétés sur des sauterelles, même grouillantes, cela ne fait pas peur, sauf peut être pour les rares éclairés qui n'ont jamais dépassé le périph' de leur grande métropole...
En 2023, il faudra reconnaître à Just Philippot d'aborder enfin de manière frontale l'argument post apo rural de son intrigue, offrant des scènes d'urgence et de trouille très bien menées qui prennent à la gorge. En effet, il restitue à l'image le caractère inéluctable et implacable de sa menace, ainsi que le sentiment d'impossible fuite qui en découle. Acide, c'est donc la survie coûte que coûte flirtant avec l'épouvante, ressemblant par instant à La Route, ou encore Light of my Life dans des registres très voisins.
Et cerise sur le gâteau, Philippot ose aller jusqu'au bout de son cauchemar et du terrible couperet céleste qu'il manie.
Mais malheureusement, Acide présente aussi les mêmes défauts que La Nuée, en étant animé de la volonté renouvelée de messages parfois lourdingues, alors même que l'image à l'occasion sidérante de sa menace climatique se suffisait largement à elle-même, s'abattant sur un monde occidental qui aura ouvert lui-même les portes de son propre enfer.
En effet, Philippot choisit d'adopter une étrange convergence des luttes et des violences, en convoquant les poncifs des migrations, en arrosant d'images d'Epinal le Nord de la France, bien sûr le seul territoire sinistré économiquement, et de pousser à l'image un Guillaume Canet terriblement antipathique, étendard violent de la lute prolétarienne syndicalisante et basse du front. Un personnage très longtemps imbuvable qui n'aura que deux choses à la bouche : sa haine des patrons simpliste et son obsession de retrouver sa nouvelle poule à Anvers.
Des fixettes qui viendront parasiter le ressenti d'une oeuvre qui aurait pu se suffire à elle-même, tant sa survie pouvait être haletante, tant ses images au look décrépi et dégradé pouvaient résonner dans le silence d'un sentiment d'éco-anxiété des plus contemporains.
Soit ce qu'avait parfaitement réussi à faire Dans la Brume, un petit film anonymisé par la critique éclairée à sa sortie en 2018, mais qui n'avait pas besoin, lui, d'habiller son genre d'un discours soit-disant concerné pour faire son petit effet...
Behind_the_Mask, ♫ Rien que de l'eau, de l'eau de pluie, de l'eau de là-haut.