Brad Pitt, James Gray, et un nouveau film mettant l’exploration spatiale à l’honneur, il faut avouer que l’affiche est alléchante. Le genre profite d’un regain de popularité récent, avec une sortie par an depuis 2013 : les réalistes (Gravity-2013, Seul sur Mars-2015, First Man-2018), les poétiques (Interstellar-2014, Arrival-2016) et les ignobles merdes (Life-2017). L’espace fascine, et il n’a jamais été aussi proche de nous – les plus chanceux survivront probablement pour voir les premières missions martiennes de leur vivant.


À travers ces films se pose la question qui revient souvent lorsque l’on parle d’exploration spatiale et des coûts – forcément astronomiques – associés : pourquoi ? Quel intérêt y a-t-il pour l’humanité d’engloutir des milliards de dollars pour expédier, qui un robot sur Mars, qui une énième sonde sur une comète ?


Nous voulons explorer l’espace une pléthore de raisons, avant tout économiques – l’industrie spatiale offre, en réalité, des retours sur investissements incroyables – et scientifiques – comprendre l’espace nous permet de mieux comprendre nos origines, et celles de la Terre.
Il y a aussi un certain type d’urgence à la poursuite de ces objectifs : plus que jamais, les ressources de la Terre apparaissent comme cruellement limitées ; la surpopulation et les dégâts irréversibles causés à l’environnement finiront par causer notre perte. Ainsi, la découverte et la colonisation de nouveaux mondes permettrait, à terme, à l’espèce humaine de survivre à la disparition de son propre berceau.


Quant à vous, astronautes, pourquoi vous astreignez-vous à ces entraînements dantesques, pourquoi choisissez-vous de risquer vos vies pour quelques heures dans le néant ?


« Because it’s there », répondait George Leigh Mallory dans les années 1920 lorsqu’on lui demandait pourquoi il cherchait à gravir l’Everest. Parce que c’est là. Mallory n’atteindra jamais son Everest. Son corps gelé sera trouvé en 1999 par Conrad Anker, à quelques centaines de mètres du sommet. Les pionniers de l’ultime frontière, par définition, prennent tous les risques pour aller où nul ne s’est aventuré avant. En explorant l’espace, l’humanité grandit en tant qu’espèce, poussée en avant par le travail et les efforts d’hommes et de femmes d’exception.


Ce sont ces deux grands thèmes, brassés à toutes les sauces, que l’on retrouve dans les films précédemment évoqués, et en particulier dans Ad Astra. Brad Pitt, le héros du film, possède l’étoffe des héros de la conquête spatiale. Brillant dans tous les domaines, il semble en outre immunisé à la peur et capable d’un pragmatisme exceptionnel même dans les situations les plus dangereuses.


Dans le film, situé dans un futur soi-disant proche, de dangereuses surtensions se produisent partout à la surface de la Terre et dans l’espace, périclitant les opérations spatiales de la compagnie SpaceCom et menaçant l’intégralité des nations terrestres. Le coupable est connu : le père de Brad Pitt (joué par Tommy Lee Jones), envoyé dans l’espace lointain chercher des traces de vie extraterrestre.


Brad Pitt est donc tout trouvé pour sauver l’humanité, utilisé en cela par SpaceCom pour entrer en contact avec son père (pourquoi, on ne le sait pas très bien, sachant qu’ils savent où se trouve l’ancienne station du père…).


Le MacGuffin scénaristique n’est qu’un prétexte afin de déployer, pendant deux heures qui en paraissent quatre, l’univers imaginé par Gray et le développement du personnage, Roy McBride. C’est là que le bât blesse – le film échouant à se trouver une identité forte sur les deux tableaux.


L’angle choisi par Gray pour la conquête spatiale est celui d’un développement uniquement technologique, qui ne s’accompagne pas d’une collaboration de rigueur entre les nations. Le futur devient accessible, voire même abordable, mais ne change rien, fondamentalement, à la compétition entre les intérêts de différents pays ou organisations. On assiste ainsi à une bataille spatiale à l’orée de la face cachée de la lune, où un cortège de jeeps américaines est assailli par des pirates lunaires dans une séquence très Mad Max. SpaceCom, la grande corporation spatiale, dissimule aussi ses véritables objectifs en dépit des enjeux potentiellement critiques.
Le monde, ou plutôt les mondes, imaginés par Gray manquent cruellement de piquant et d’intérêt. Le développé esquissé est terriblement paresseux – et très incohérent à de nombreuses reprises.


Dans un futur où les voyages commerciaux vers la Lune sont à la fois possibles et fréquents – en atteste l’immense base lunaire (qui ressemble à une version vaguement futuriste de la gare de Châtelet) –, effectuer de tels voyages avec une fusée à usage unique semble absolument idiot (à d’autant plus forte raison que les enjeux de fusées réutilisables occupent une bonne part de l’industrie spatiale actuelle).


Dans un cadre où le futur de l’humanité repose sur les épaules d’un seul homme, et où les pas de tirs sont situés dans un territoire contesté, ne fournir qu’une escorte honoraire audit héros est non seulement criminel, mais aussi parfaitement inconscient.


On passera sur la base martienne immense, monochrome, et uniquement occupée par un équipage de cinq personnes. Ou sur la réutilisation d’un équipage de chercheurs et de scientifiques, commandés par un incapable notoire, pour une mission cruciale. Ou, finalement, sur les enjeux apocalyptiques dont on ne se soucie jamais vraiment. Le film s’en fiche aussi, d’ailleurs, et s’ils servent d’introduction, ils sont très vite expédiés.


Si le film trahit rapidement le spectateur en se contentant paresseusement de créer un univers auquel on décroche vite, il tente sûrement de rattraper le coup en développant les enjeux humains de l’histoire. Seulement, le personnage de McBride est difficile à suivre, peu crédible. On le croit dénué d’émotion, et même de volonté propre. Présenté comme un robot, une machine à accomplir sa mission en dépit des facteurs extérieurs, la carapace se fissure lorsqu’il est mis face-à-face avec son père, qui l’a abandonné seize ans plus tôt. Malgré les interruptions incessantes de la voix-off, introspection pénible, et souvent peu nécessaire, on peine à comprendre ce qui motive ce personnage sans âme.


Une parenthèse au passage sur la recherche de la vie extraterrestre, qui motive et rend fou le personnage de Tommy Lee Jones, devenant sa seule raison d’être. Le physicien Fermi s’est – comme d’autres avant lui – posé la question de la vie extraterrestre, en se demandant pourquoi ceux-ci ne nous avaient pas déjà contactés. Il y a des milliards de planètes dans notre galaxie, et des milliards de milliards d’autres tout autour (les nombres donnent le vertige). Il y a plusieurs hypothèses pour répondre à la question, et la plupart ne sont pas très réjouissantes. Certains imaginent que le développement de la technologie au-delà d’un certain point (nécessaire au voyage planétaire, par exemple) mènerait inéluctablement à la mort de l’espèce. D’autres estiment que nous pourrions être les premiers à atteindre ce niveau de sophistication – du moins dans notre coin observable de l’univers.


Concrètement, James Gray s’en fout. On le comprend assez vite, McBride père n’a pas trouvé de vie, nulle part, et réalise ainsi son erreur. En privilégiant le "there" (là-bas) aux dépends du "here" (ici, sa femme et son fils), McBride est passé à côté de ce qui compte vraiment, à côté de sa vie. McBride fils comprend la leçon et retourne sur Terre plein d’optimisme, prêt à s’ouvrir aux autres.
À l’échelle de l’espèce le message est on ne peut plus clair. Cessons de lorgner sur ce qui est "là-bas" et tâchons de prendre soin de ce qui est "ici". À l’heure d’une urgence climatique telle qu’il faut l’entendre par la voix d’une gamine de 16 ans qui tente de faire entendre raison à une bande d’adultes à la tête dure, ce n’est pas forcément un mauvais message, même si cette vision est fermée et à court terme. Nous irons dans l’espace, un jour, il le faut.


Le film a quelques arguments à faire valoir. Les séquences d’ouverture, jusqu’au voyage décevant vers Mars (précédant la découverte tout aussi décevante du pitoyable avant-poste), sont de qualité et offrent un rythme plaisant, permettant de rentrer dans le film. Les multiples incohérences qui jonchent le métrage ne tardent malheureusement pas à briser l’immersion.


Ce qui m’énerve, c’est qu’avec un budget de cent millions de dollars, James Gray n’invente rien. Deux heures d’un Apocalypse Now dans l’espace qui peine à se distinguer à tous les égards. Un peu de musique, quelques idées (transformer la Lune en station de métro parisien, pourquoi pas), mais rien de spécial.


À côté de ça, en 2007, les petites mains du studio de jeux vidéo de BioWare à Edmonton (Canada), sortaient Mass Effect, une merveille pour le coût total d’un peu plus de 2.7 millions. Il y a plus d’imagination, une direction artistique plus poussées et une musique plus fascinante dans les trente premières minutes de Mass Effect que dans l’intégralité d’Ad Astra. Faites-moi plaisir et écoutez-moi au moins ces extraits : (1), (2), (3), (4) et (5).


L’espace fascine, plus que jamais. De nombreux cinéastes tentent de surfer la vague, et la plupart d’entre eux échouent lamentablement à proposer quelque chose de nouveau, ou même d’intéressant. Ne vous essayez pas à faire un nouveau 2001 – le film de Kubrick a fait déjà bien assez de dégâts en imposant à tous les films d’exploration spatiale de se parer d’une teinte mystique pénible et d’un vernis philosophique dégoulinant. Un Apocalypse Now dans l’espace n’offre rien de nouveau, rien de spécial. À ce titre, Ad Astra ne confirme pas le potentiel qu’une collaboration Brad Pitt/James Gray aurait pu avoir, et c’est bien dommage.

Aramis
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le 27 sept. 2019

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