De quoi parle ce film ?
Au premier abord on peut supposer qu'il parle essentiellement d'homosexualité. Personnellement je ne suis pas homosexuel ou alors je me mens à moi même, c'est une possibilité. En conséquence de quoi je suis peut être mal placé pour en parler. Mais ce qui me semble c'est qu'au delà du fait qu'Adieu Ma Concubine soit sans doute un des plus beaux films sur ce sujet, peut-être même le plus beau, il ne parle en réalité, et après une analyse approfondie, de l'homosexualité que comme quelque chose d'odieux, de subi, de détesté. La première demi-heure du film nous montre comment le personnage de Douzi, encore enfant, va lutter pour conserver sa virilité, subir des sévices, des tortures et des violences qui ne le font pas plier jusqu'à ce que son frère de coeur, son ami, se retourne contre lui et là alors, il y renoncera dans une scène déchirante avant de se résoudre définitivement, lors de la scène suivante, à être violé, scellant ainsi son destin d'inverti.
Dès lors, travesti mais peut être également révélé, il devra gérer l'amour qu'il a voué (et j'insiste sur ce mot) à Xialou, l'intrépide, l'infexible qui se prétend toujours prêt à subir les tortures et les humiliations mais qui les laisse toujours commodément retomber sur Douzi.
La virilité perdue, symbolisée par une épée précieuse que l'on s'offre, que l'on se transmet, que l'on se paye, que l'on dédaigne enfin et que l'on jette au feu par instinct de survie traverse le film sous une apparence à peine masquée mais également empreinte de mort car enfin c'est une véritable épée et c'est bien à la mort et au suicide qu'est vouée la concubine dans la pièce.
Cette épée, cette virilité et donc ce désir, est également perçue comme un simple accessoire de théâtre dérisoire et inutile dans un monde pourtant sujet à une perpétuelle violence guerrière (qui est d'ailleurs textuellement imputée à la frustration sexuelle).
Ca n'est donc pas tellement de désir charnel qu'il est question, le lien réel ou imaginaire qui attache Douzi à Xialou relève d'une idée supérieure de l'amour, plus désincarnée encore que la plus platonique qui se puisse imaginer.
De même un autre objet traverse le film de part en part, symbole évident d'une société patriarcale puisqu'il s'agit de la pipe du vieux maître qui ne trouve de vocation que comme un instrument de torture enfoncé dans la bouche et frotté violemment dans l'intention de blesser. nul besoin d'être très freudien de nature pour y voir une pénétration, un viol doublée d'une punition pour ne pas jouer assez collectif, ce qui n'est pas plus pardonné dans une société communiste que dans un empire conservateur ou sous une occupation étrangère.
En deuxième lecture, le film ne parle finalement que de l'opposition entre absolu et médiocrité des contingences du réel qui, elles, amènent l'ambiguïté, cette ambiguïté maudite avec laquelle doit composer Douzi, être éperdu d'absolu qui ne sait vivre sans passion et ne peut se résoudre aux compromis. Qui, accusé injustement, "demande la mort" puis s'abime dans les vapeurs d'opium plutôt que de transiger sur l'affection qu'il porte à Xialou, risquant ainsi sans une hésitation la vie de tous ceux qui le soutiennent et vont jusqu'à mentir pour le sauver.
Je crois que c'est ce que Kaige a essayé d'exprimer ici. Comment l'aspiration à l'absolu se brise invariablement sur les compromis auxquels nous astreint la société humaine et son océan d'aspirations personnelles contradictoires, compétitives et chaotiques.
Peut être n'y ai-je mis que ce que je voulais y voir... peut-être ?
Par opposition le personnage de l'épouse légitime, évidemment une prostituée (mais les oeuvres les plus misogynes ne sont-elles pas toutes justement la conséquence d'amours déçues et bafouées ? De cruelles réponses à un désaveu et à un abandon odieux et insupportable ?), ce personnage de la femme, la femme authentique donc, et championne de la dûperie, nécessairement, par laquelle viendront la déchéance comme le salut, pour l'un ou pour l'autre mais jamais ensemble, c'est son maître mot, ce personnage est parfaitement adapté à la nature versatile et fluide du monde et elle y mène ses affaires sans jamais se briser mais sans jamais aimer totalement. Elle n'aura de cesse à tenter d'éloigner son mari du théâtre, et par là de la cébrité, vécus comme une porte ouverte, une issue à ce couple qu'il ne doit ô grand jamais emprunter. Car c'est par le théâtre qu'existe l'autre couple du film. Et c'est par la célébrité et la popularité que se trouvent les ennemis les plus acharnés.
Ce couple d'artistes, cette union glorieuse à laquelle le vieux maître a donné forme, à travers ses brimades et sa cruauté, n'étant au final que l'éxécuteur de ce que le monde leur laisse comme choix, comme alternative à la rue et à la misère.
Film anti-communiste vraiment ? Ou simplement dissident dans un contexte politique coercitif ? Film de droite ? Nos personnages sont les garants de la culture de priilèges, certes, mais ils n'en sont certes pas les héritiers, eux-mêmes issus de la roture : un orphelin, une prostituée et un fils de prostituée. Mais oui, ils aspiraient à la célébrité et à une réussite sociale brillante.
Qui, honnêtement n'y aspire pas ? Mao ? Ou bien le petit couple de Vivre! du confrère Zhang Yimou ? Un film qui pourtant ne porte pas très haut la couleur rouge de ce gouvernement il me semble.
Les détracteurs du film lui reprochent généralement de n'être pas un film à thèse, on ne saisit pas toujours pleinement de quoi il est question, film politique, film sur l'homosexualité, histoire d'amour déchirée ?
Je crois au contraire que c'est la marque d'un scénario adulte que de creuser son sujet même et si il n'a pas nécessairement compris quel était justement ce sujet car les thèmes philosophiques les plus profonds, les plus douloureux, les plus sensibles, ne sont peut être pas résumables à des concepts sommaires comme ceux cités au dessus. Au delà de toute thèse politique, sexuelle ou sentimentale c'est bien de condition humaine qu'il est question, les réponses passent par les émotions et même s'il est difficile de les résumer en mots, on peut néanmoins ici les appréhender clairement et avec force.
Et n'est-ce pas précisément ce qui distingue un grand film ?