Selon le principe du documentaire, Sébastien Lifshitz ne pouvait pas deviner ce qu’il filmait (au moment du tournage) ni ce qu’il allait filmer (lors des prochaines journées de tournage), puisqu’il s’agit de « la vie réelle » d’Emma et Anaïs. La réussite de son film consacré à l’adolescence dépendait donc en grande partie du choix de ses comédiens – ou plutôt, du choix de ses sujets. Et c’est déjà là que le film cède à un premier biais : pour être sûr d’avoir quelque chose d’intéressant à raconter, le réalisateur doit « sélectionner » une adolescence dont il peut anticiper qu’elle « aura du sens ».


Il a donc a décidé (ou eu l’opportunité) de finalement filmer non pas une adolescence, mais deux, celles d’Emma et d’Anaïs, qui sont amies malgré leur différence évidente de classe sociale. A la découverte, dans les premières minutes du film, de la différence d’environnement familial dans lequel vivent Emma et Anaïs, on devine immédiatement, comme l’a sûrement fait avant nous le réalisateur, que leurs trajectoires dans la suite du film (et donc lors des cinq ans du tournage) seront très différentes.


Voir ce « programme » se réaliser (et donc montrer comment l’on est déterminé par son origine sociale) mais être quand même bousculé (et donc qu’une liberté existe, mais finalement, marginale sur la période montrée par le film) est quand même intéressant. Mais il met un peu mal à l’aise pour ce que cela révèle de calcul de la part du réalisateur-documentariste.


« Adolescentes », comparé à « Boyhood » de Richard Linklater, rappelle que tourner un documentaire, c’est un peu comme observer une particule en physique quantique : l’observateur détermine son état. Lorsqu’on regarde « Adolescentes », on ne cesse de se demander comment la caméra et la présence du réalisateur ont perturbé ce qui était filmé – car forcément, on imagine que ce tournage a eu une influence sur la vie d’Emma, d’Anaïs et de leurs proches. Ce n’est en effet qu’en filmant en caméra caché que l’on supprime l’influence de l’observateur sur le sujet observé. Cette question subsiste malgré le soin apporté à la fabrication du documentaire : des nombreuses heures de tournage et un travail de montage qui a dû sélectionner les séquences où les sujets filmés avaient « oublié » la présence de la caméra. Sauf que le spectateur, lui, ne peut pas l’oublier : il sait que les personnes filmées ne sont pas des acteurs, qu’il ne s’agit pas d’une fiction, et qu’ils ont vécu ces moments avec une caméra à leurs côtés. Il y a des séquences où la « fabrication » du documentaire semble quasiment manifeste : lorsqu’Emma s’oriente vers des études de cinéma, on se demande d’où vient la surprise de sa mère, alors qu’elle et sa fille sont au même moment dans le champ d’une caméra de cinéma… La séquence finale du film laisse tout autant dubitatif : Emma et Anaïs se retrouvent seule à seule comme deux amies très proches, comme au début du film, alors que toute la deuxième moitié du long-métrage montre clairement qu’elles s’éloignent l’une de l’autre du fait de leur parcours scolaire divergent. Jouent-elles à une comédie de l’amitié, voulue par le réalisateur pour boucler son documentaire ? Ou, si elles sont encore aussi proches, n’est-ce pas juste à cause du lien entretenu par le tournage ?... Il s’agit moins ici de nier la vérité de ce qui a été filmé, que de montrer qu’un questionnement accompagne inévitablement le visionnement de ces séquences, questionnement qui n’existe pas dans une fiction assumée telle celle de « Boyhood ».


En conclusion, malgré son approche documentaire au long cours, « Adolescentes » n’atteint pas à plus de vérité qu’un film de fiction. Il parait même bien fade comparé à « Boyhood » ou « La vie d’Adèle ». Mais il est passionnant pour les interrogations qu’il soulève sur le réalisme au cinéma.


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Ertemel
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le 21 oct. 2020

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Ertemel

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