Ceux qui nous suivent depuis longtemps savent que je ne suis pas très cinéma japonais. C’est un cinéma que ne me parle que peu et le Japon n’est pas un pays qui m’attire. Pourtant, de temps à autres, parce qu’un synopsis m’intrigue ou qu’une bande annonce a titillé ma curiosité, je me laisse tenter. Ce coup-ci, c’est la jaquette jaune de l’édition DVD Spectrum Films de Adrift in Tokyo, avec son duo de personnages marchant de dos, qui, allez savoir pourquoi, m’a donné envie de me plonger dans les rues de Tokyo. Adapté du roman de Yoshinaga Fujita, réalisé par Satoshi Miki (Damejin, In The Pool), Adrift in Tokyo va mettre en scène un duo de personnages drôles et touchants, interprétés par Joe Odagiri (Bright Future, Dream) et Tomokazu Miura (Outrage), qui seront la pièce maitresse d’un film qui procure cette sensation de confort et dans lequel on se sent comme dans une couverture pilou-pilou bien chaude.
Le point de départ du film est tout bête. Menant une vie paresseuse, Fumiya est étudiant depuis 8 ans et doit de l’argent à des usuriers. Un jour, un homme nommé Fukuhara vient récupérer le prêt, que Fumiya ne peut pas payer. Fukuhara lui fait une proposition : il annulera la dette à condition que Fumiya accepte de se promener à travers Tokyo, pour finir au commissariat de Kasumigaseki, où il a l’intention de se rendre pour un crime qu’il regrette profondément. N’ayant pas vraiment le choix, Fumiya accepte le marché. C’est ainsi qu’à à peine la 12ème minute du film se lancent les déambulations urbaines de nos deux acolytes que tout oppose mais qui vont finir par créer des liens. On va y découvrir Tokyo mais pas dans la splendeur habituelle. Ici, on y voit des petites rues toutes simples, la devanture d’une école de musique, un petit temple, un restaurant lambda, une voie ferrée, des passages piétons, un immeuble détruit, une soirée cosplay ringarde, un toit d’immeuble tout pourri éclairé au néon, une rue avec des prostituées, des montagnes russes… La ville nous semble bien plus simple, bien plus accueillante, bien moins intimidante. Mais la folie de cette ville va bien plus transparaitre dans les personnages qu’ils vont être amenés à croiser, avec notamment un groupe d’employés de bureau qui tiennent leur porte-monnaie en l’air, un groupe de vieux travailleurs qui se touchent les parties intimes, un prof de judo énervé qui les frappe à coups de tatami, un vieux de 66 ans habillé en Mask Man, une peintre inquiétante qui fait des bruits bizarres, un mec fringué n’importe comment qui joue de la guitare électrique au milieu de nulle part, un vendeur de montres de précision accessoirement karatéka, … la galerie de personnages est improbable, chacun disparait aussi vite qu’il est apparu, comme une page d’un livre qui se tournerait.
On apprend à connaitre les personnages de Fumiya et Fukuhara grâce à leurs échanges durant leur longue balade. Ils sont magnifiquement bien écrits. Ces deux marginaux sans avenir sont immédiatement attachants. Aucun ne dramatise sur son sort (la prison pour l’un, une vie sans ambition pour l’autre). On les sent désespérément seuls, en manque d’une vraie famille qu’ils vont trouver en se faisant passer pour qui ils ne sont pas. Le film se transforme lentement en quelque chose de plus fascinant, de plus complexe, en développant les personnages, en particulier leurs regrets. On pourrait y voir un parcours initiatique pour Fumiya, qui va trouver la famille qu’il n’a jamais eue (il a été abandonné et ne semble pas attaché à sa famille d’adoption) ; mais également du côté de Fukuhara qui va petit à petit voir en Fumiya le fils qu’il n’a jamais eu. L’alchimie entre les deux héros est palpable car le casting est absolument génial, toujours très juste, avec des acteurs qui ne tombent jamais dans la caricature. Leurs péripéties sont entrecoupées de moments absurdes, donnant au film un ton immédiatement léger, aussi bien par ce qu’il se passe à l’image que par la musique souvent toute guillerette. La mise en scène de Satoshi Miki est sobre, parfois filmée caméra à l’épaule, toujours proche de ses personnages, jouant avec les regards afin de faire ressortir au mieux les émotions par lesquelles ils passent. Adrift in Tokyo est un film plein d’humanité, malgré son côté satirique (il semble dépeindre l’absurdité de la société japonaise) amené par un humour souvent pince-sans-rire, décalé mais jamais dans la facilité. On se laisse porter par son rythme très étrange, à la fois lent et prenant, et lorsque retentit le générique de fin, on se rend compte qu’on a passé un super moment en compagnie de deux êtres extrêmement attachants avec qui on aurait aimé continuer de déambuler dans Tokyo.
Adrift in Tokyo est un film drôle, touchant, parfois poétique, parfois doux-amer, toujours tendre et duquel on ressort avec un grand sourire au milieu du visage. Une réussite de bout en bout.
Critique originale avec images et anecdotes : DarkSideReviews.com