Si Pieter Brueghel avait vécu en Valachie en 1835, il est évident qu’il aurait peint les scènes de genre ou les paysages, comme les filme Radu Jude dans « Aferim ». On ne peut pas plus beau compliment. Car « Aferim » est de premier abord une œuvre particulièrement soignée au niveau de l’image et plus encore avec la reconstitution d’un début de 19ème siècle dans une province (aujourd’hui intégrée à la Roumanie) écartelée, politiquement parlant, entre la Russie, l’empire Ottoman, la Grèce et l’Autriche. Le poids de l’oppression y est omniprésent.
Radu Jude, porte un regard à la fois sensible et critique vis-à-vis de cette société, très hiérarchisée, soumise à une espèce da ban féodal. Il ne donne pas pour autant dans la rhétorique bien au contraire, puisqu’il choisit de traiter son sujet sous la forme d’une chronique (la traque d’un voleur) qui oscille entre parodie et satire, où le drame est toujours sous-jacent, lui conférant une modernité, véritable reflet parabolique de notre époque.
L’épopée de Costandin, le père (brigadier en mission) et Ionita,le fils (le candide) coursant ce « corbeau » (ainsi surnommait-on alors les Tziganes) est symbolique du passage de relai dans le sens physique (le père initiera son fils à bien des choses), mais également philosophique (peut-on vraiment changer l’ordre des choses ?). Radu Jude, reste pessimiste sur ce dernier point, force est de constater que la persécution des « roms », l’antisémitisme, la misogynie et autres mécanismes humains primaires sont encore d’actualité.
Cette ombre ne doit pourtant pas voiler les grandes qualités du film, à commencer par son humour que n’aurait dénigré Rabelais et autres comparses, qui de trivialités, aux sentences de Costandin (« Bien que de père ail et de mère oignon je suis né piment » ou encore » « Le boucher ne craint pas mille moutons ») qui ponctuent le récit de bout en bout, aux situations picaresques et loufoques, tout cela fait que l’on s’amuse beaucoup. La mise en scène est très aboutie, desservie par un noir et blanc splendide (on n’avait pas vu cela depuis Freddie Francis avec « Elephant Man »), des plans qui fourmillent de détails (décors, accessoires, costumes), un sens du cadre pertinent jouant des lignes de paysages, ou comme chez Brueghel des scènes aux multiples histoires et enfin une bande son très étudiée.
Le seul reproche (petit) est que le film est un peu long vers la fin avec ses répétitions. Mais si l’adhésion n’est pas totale, « Aferim » n’en est pas moins réjouissant et passionnant.