J'ai découvert Mandico, comme la plupart, avec Les Garçons Sauvages. A l'époque c'était une vraie claque que j'avais prise dans la gueule. Un cinéma transgressif mélangeant l'onirique, le macabre et le bizarre, je n'avais jamais vu pareil spécimen.
Ultra Pulpe a remis le couvert avec ses idées farfelues et des musiques hypnotiques. Etat de transe au générique de fin. J'en étais convaincu, Mandico représentait une expérience sensorielle à part dans ce qui se fait au cinéma.
C'est donc avec beaucoup (trop) d'attente que je suis allé voir After Blue, et même si je sais que les attentes démesurées ne sont destinées qu'à être ébranlées, je n'ai pas réussi à réprimer mon trop plein d'enthousiasme.
A l'instar de ses ainés, le film a pour lui ses fulgurances visuelles et sonores, et on retrouve peu ou prou les thèmes chers à Mandico qui, en même temps qu'ils m'intéressent, m'amusent beaucoup dans la façon dont ils sont traités. Il arrive à conserver sa capacité à subvertir par le récit et les images sans être moralisateur, ce qui est franchement appréciable.
C'est un cinéma total et radical qui assume d'en faire trop. Les décors, les costumes, et l'univers outranciers mais authentiques tranchent avec la tendance sans personnalité du tout numérique, donnent un côté rétro parfois très inspiré, parfois un peu ringard, qui finalement collent bien avec le double ton du film: kitsch et absurde, érotique et suave.
Les armes portent des noms de marques de luxe que les personnages exhibent à la manière d'un accessoire, objet d'une mauvaise publicité. Personne ne semble se prendre au sérieux, notamment Sternberg, artiste peintre excentrique, qui lâche des phrases décorrélées de tout contexte par pur plaisir de la langue. Et ça fonctionne, on se délecte du plaisir auditif que procure sa diction. La voix de Roxy a également quelque chose d'envoutant, même si le choix d'en faire une narratrice qui répète ce que l'on voit et entend me laisse un peu perplexe, et nous sort, à mon sens, de cette atmosphère si particulière, sublimée par la musique.
Si la jouissance est de mise pour les protagonistes, After Blue m'a frustré, comme si Mandico n'avait jamais voulu aller au bout de la jouissance du spectateur, mais avait préféré jouer avec lui.
Oui, le film a ses fulgurances, ses éclairs qui choquent et fascinent, mais c'est aussi son plus grand défaut, car cette fois-ci, Mandico ne parvient pas à provoquer cette sensation de sidération permanente; elle n'intervient que par intermittence.
La faute, sûrement à une narration un peu trop bordélique, qui allume beaucoup de mèches sans parvenir à éclairer l'ensemble, qui développe finalement très peu ce qui est convoqué. A commencer par l'univers, toile de fond prétexte au développement des protagonistes. Si Les Garçons Sauvages savait mettre ses personnages au service de l'intrigue tout en les développant suffisamment, After Blue tente le pari inverse, mais n'atteint pas la grandeur de l'aîné.
Kate Bush, cette sorcière du mal aux motivations opaques, autour de laquelle se cristallise l'histoire, aurait pû porter le film. La très bonne scène d'ouverture laissait d'ailleurs présager le meilleur, mais il lui manque finalement quelque chose pour qu'elle parvienne à impressionner totalement.
Le personnage de Roxy, figure christique naïve désignée prophète malgré elle, prend beaucoup de place à l'écran sans être pleinement exploité.
A l'inverse, le duo de femmes Zora-Sternberg ébauche une relation qui aurait méritée un film entier. Douceur et courage rencontrent témérité et excentricité. Aux antipodes, Elina Löwensohn et Vimala Pons interprètent chacune subtilement un archétype de féminité toujours un peu bâtard, mais terriblement bien construit. Ce sont clairement les scènes où elles sont à l'écran, seule ou à deux, qui convainquent le plus. Baiser dégoulinant ou bain visqueux de minuit, ce mélange érotico-crasseux culmine avec elles.
Mandico continue donc l'exploration captivante de son univers à part, un paradis aux allures d'enfer. After Blue perd en émotions ce qu'il gagne en expérimentations et semble manquer légèrement de maîtrise pour pouvoir reconvoquer la grisante sensation d'avoir fixé Médusa trop longtemps.