Le premier volet de ce drame social évoquait déjà la perte de repères d'une génération désabusée en pleine crise existentielle, coincée entre le passage d'un ancien monde irresponsable à la peur d'un avenir liberticide, et un contexte politico-médiatique toujours plus cynique à l'heure de l’avènement des réseaux sociaux, du bon paraître et d'une start-up nation à la soif de pouvoir disruptif.
En signant pour ce deuxième opus, Adams confirme ses débuts tonitruants dans le septième art francophone, perfectionnant ainsi son style de jeune et viril homme blanc dont les yeux savent néanmoins renfermer le mal-être ambiant d'une génération pleine d'incertitude. Se mettant littéralement à nu devant la caméra toujours plus acérée de Lionel Steketee (auteur de l'excellent Crocodile du Botswanga dont l'absence aux Césars 2015 est une honte), le comédien fait preuve d'une grande maturité et d'un charisme à en faire fondre la pierre, rappelant les grands débuts d'un certain Jean Gabin.
Dans un contexte où le cinéma français se complaît de plus en plus dans d'innombrables navets qui se succèdent les uns après les autres, où les clichés racistes, sexistes et homophobes fleurissent dans des comédies sans imagination qui semblent n'avoir pour unique ambition que de ressembler à l'exécrable Mission Cléopâtre (dont la suite relève un peu le niveau) devenu culte pour sa nullité absolue, malgré la présence de Christian Clavier et Jamel Debbouze qui depuis ont eu l'occasion de se rattraper.
Debbouze, donc, qui se renouvelle dans un véritable rôle de composition. Le dramaturge nous interprète ici un dictateur sanguinaire, rappelant les heures les plus sombres de l'Histoire géopolitique contemporaine. Difficile de ne pas penser au Dictateur de Charlie Chaplin, ou mieux, celui de Sacha Baron Cohen.
Dans une interview récente, Eric Judor critiquait avec virulence, et à juste titre, le manque d'inventivité dont font preuve les comédies françaises d'aujourd'hui. Il démontre ici que l'on peut tout à fait créer quelque chose de profond et poétique, tout en provoquant l'hilarité à chaque seconde.
Instagram, ouvre-toi.
On retrouve dans ce deuxième chef d’œuvre consécutif (Le Parrain 2 et Aliens n'ont qu'à bien se tenir) cette idée géniale et totalement inédite de briser le quatrième mur, en confrontant le monde réel aux temps anciens. La dichotomie entre les deux époques est rompue de manière subtile et intelligente : un véritable pied-de-nez au cinéma classique contemporain, qui a une fâcheuse tendance à vouloir garder toute cohérence du début à la fin et avoir un sens, voire un message, s'enterrant définitivement dans une ringardise absolue. Difficile de ne pas craquer devant les références à Instagram, aux selfies, ou même devant ce caméo tordant des lyricistes surdoués Big Flo et Oli, dont la présence apporte beaucoup de cachet au long-métrage. Cet univers complètement surréaliste où le marché noir est représenté par un marché... noir... (vous l'avez ?), nous donne l'envie de voyager et de dépasser les limites, sortir des sentiers battus.
[ALERT SPOILER]
La surprise s'invite à chaque scène et fait de cet exercice de style un monument toujours plus massif jusqu'au point culminant que personne ne voyait venir : la révélation de l'univers partagé avec le célèbre 1492 de Ridley Scott, quand l'on aperçoit Gérard Depardieu, grimé en Christophe Colomb, croyant découvrir l'Inde alors qu'il s'agit de l'Amérique de Trump. Cette pirouette bien sentie, ultime référence à l'ère des "fake news" si chère à l'actuel président des États-Unis, concédant ainsi au cinéma de Steketee, entre autres moult traits de caractère, une fable anticapitaliste et pro-sociétale, sur fond de changement climatique et de printemps arabe.
Tout dans ce film respire la nouveauté et le modernisme, à l'image du personnage de Ramzy Bédia, se transformant en femme le temps d'une scène, symbole d'une volonté de vouloir effacer les frontières et anéantir toute idée d'étiquette pré-établie. En plus elle est trop bonne.
Ne manquez surtout pas LE film de l'année, sans doute le plus important dans la carrière de Jean-Paul Rouve.