Albator, corsaire de l'espace
5.8
Albator, corsaire de l'espace

Long-métrage d'animation de Shinji Aramaki (2013)

Il avait promis de nous revenir et il s'y est tenu - bien qu’on lui ait (un peu) forcé la main par générique interposé en s’engageant pour lui auprès des enfants de la terre. Il a juste, en chemin, enchaîné les escales sur ces étoiles lointaines qu’il a réputation d'affectionner, où il a retrouvé fidèles de longilignes compagnes - dont on n'a jamais su s'il appréciait les charmes autrement que pour la galerie.

Un coeur trop grand pour l'amour seul, peut-être ?

Ou trop plein de son amitié pour son défunt second ?

Ou trop épris de cette liberté qui l'obsède, dont il a joui à loisir ces trente dernières années ?

La voie qui nous l'a ramené ne fut pas pour autant de tout repos, constellée qu'elle s’est avérée d'embuches, de tentations et de mauvaises rencontres. On le prétendait en retraite, lui et quelques autres, sur les plages de cette Arcadie qu'il est allé chercher aux confins de la galaxie ; là où d'autres affirmaient l'avoir vu repartir au front aux alentours de Ra-Metal, la sinistre planète mécanique, aux côtés du zeppelin de la troublante Emeraldas. Plusieurs historiens réputés ont même cru pouvoir remonter ses traces jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale, voire aux grandes étendues sauvages de l'Ouest Américain ; ce qui n'aura pas manqué de leur inspirer mille et unes conjectures. Nous-mêmes, nous le pensions piégé dans une boucle d'éternels recommencements, balloté par les vents cosmiques d'expériences numériques défavorables. Or le revoilà à la barre de son navire, tout en cape, en bandeau et en Jolly Roger, sans une ride ou un cheveux blanc pour faire oublier sa balafre - comme s'il n'était jamais parti, voudrait-on nous faire croire, à nous qui ne demanderions pas mieux... Mais des décennies ont passé, et ce retour inattendu invite à la méfiance. Ce grand échalas vêtu de noir est-il bien l'Albator que nous attendions en secret ? A-t-il seulement perdu son cap en cours de route, ou cette nouvelle incarnation n'est-elle qu'un Martin Guerre à la nippone, sans plus de magnétisme qu'un cosplayeur de seconde zone ?

A en croire les critiques, la version 2013 de l'insolent capitaine n’est qu’un épouvantail couvert de cicatrices, l'ombre d'une ombre, bien loin de ses grandeurs d’antan ; et l’idéal utopiste dont il se réclame n'est plus qu'une forfanterie, une erreur de jeunesse.

Alors, Albator, usurpateur ? Traitre à sa propre cause ?

Beaucoup opineront avec énergie, et iront de leur propre tirade désabusée pour alimenter le réquisitoire. Cependant par respect pour ses antécédents glorieux, nous nous garderons de le condamner sans un ultime procès, que nous nous efforcerons de présider avec équité. Une grande première, pour celui qui a fait trembler la voie lactée sous le matricule S00999.

On l’accuse de troquer sa SF pulp contre un mysticisme qu’on ne lui connaissait pas, converti sur le tard à la doctrine new-age - voire gourou scientologue ascendant Cheminade (le bougre veut défaire les noeuds du temps pour rebooter la Création, excusez du peu) -, on le retrouve agnostique tendance animiste là où on le croyait athée - sans maîtres ni dieux, quelle déception ! -, mais c’est faire peu de cas de la dimension séraphique dans laquelle il a jeté l’ancre, au terme d’une quête quasi-Biblique dans la série TV de 1984. C’est aussi oublier avec quelle arrogance il a tenu tête aux divinités d’Asgard sur un (inévitable) fond de Wagner, et fait main basse sur l'or du Rhin pour les yeux de succube d'une Mime (Clio) belle à se damner ; ou encore avec quel aplomb il est allé jusqu'à défier l’entité antédiluvienne (antéuniverselle, même !) que l'homme craint depuis l'aube du monde sous mille noms méphitiques, allant jusqu’à s’offrir un ticket aller-retour pour l’Enfer et y tailler le bout de gras avec l'ami Toshiro (Alfred). Est-il donc si inconcevable que celui qui a été tour-à-tour Moïse, Siegfried, Orphée - et tellement d'autres encore ! - en arrive à se prendre pour Dieu le Père en son Omnipotente Personne - ou, plus vraisemblablement, pour Lucifer, à charisme et ténèbres égales ? Dans le sillage de son Arcadia (Atlantis), les frontières se font mouvantes, imprécises, le passé et l’avenir s'enlacent, se télescopent, le space opera et le mythe se rejoignent au point de se fondre comme s’ils ne faisaient qu'un, comme s’ils n’avaient jamais fait qu’un, comme s’ils n’étaient que le prolongement l’un de l’autre – et n’est-ce pas précisément ce qu'ils sont, au bout du conte ? Épopée, odyssée, qu'importe le decorum : qu'il soit d'une autre époque, d'un autre lieu ou des deux à la fois, dès lors qu'il aspire au H majuscule, le héros n'est jamais qu'une déclinaison d'une figure unique, l'un des nombreux avatars mortels d'un même géant dans l'âme - là où commence le monomythe, en somme : dans l'être plutôt que dans l'accomplissement, dans l'étoffe plutôt que dans les actes. Que sa dernière variation en date reprenne à son compte les thèses du peuple Nibelungen, déjà intégrées à son microcosme via un manga en 8 volumes, ou qu'elle fasse l’amalgame entre théorie des cordes et Parques de la mythologie, elle reste dans son élément, elle ne l'a jamais quitté. Si quelqu’un peut prétendre abolir les lois du cause-à-effet, ou même flirter avec la matière noire, c’est bien notre corsaire préféré.

On le taxe de gâtisme, on le dit paresseux, on fustige la désinvolture avec laquelle il s'acquitte de ses obligations scénaristiques - la faute, argue-t-on, à une intrigue inutilement alambiquée, des retournements de situation artificiels, des incohérences à la pelle et du Deux Ex Machina n'en-veux-tu-pas-en-voilà-quand-même - ; à tel point qu'on jurerait avoir affaire au jumeau maléfique d'un certain Doctor Who - autre brigand spatio-temporel à sa british manière, dont on fustige souvent le goût pour le rocambolesque et les dénouements à l'esbroufe... Cependant se formaliser de ces fantaisies (assumées), c'est persister à vouloir confondre SF Pulp et Space Opera, comme s'il s'agissait d'une seule et même chose sous prétexte qu'il est question d'espace, d'extraterrestres et de pistolasers. Car un simple regard en arrière, pour peu qu'il s'accompagne d'un soupçon d’honnêteté, suffira à nous en donner confirmation : au cours de sa longue carrière d'écumeur du ciel, jamais notre Albator ne s'est embarrassé de considérations scientifiques qui ne l'ont jamais concerné, et qu'il a éventré à longueur d'épisodes à grands coups de tranchoir de proue… pas plus qu'il n'a cherché à composer avec le sens commun ou avec une chronologie qu'il traverse en zig-zag et réécrit sans cesse au gré de ses humeurs (noires). La cohérence narrative elle-même n'a jamais été au nombre de ses priorités, semble-t-il, sans quoi aurait-il tourné sept fois sa langue dans sa bouche avant d'annoncer le décès de son amie Emeraldas, pour avancer quelques centaines de pages plus loin qu'elle parcourt l'infini à la recherche de son amour perdu. Son monde n'a ni règles précises, ni limites figées : il est réinventé, réajusté, redéfini en permanence en fonction des besoins et des rebondissements. Les rédemptions tardives, les revirements-gigogne, l'héroïsme jusqu'au sacrifice, les invraisemblances théâtrales, la morale de livre pour enfants ont toujours fait partie du cadre défini par Leiji Matsumoto, son heureux paternel ; et bien que ces éléments puissent paraître kitchs, datés, anachroniques aux yeux du spectateur moderne, ils n'en sont pas moins constitutifs de l'identité de l'oeuvre. Aussi aurait-il été inconvenant de ne pas les conserver "en l'état", inaltérés, au risque de trahir l'homme au-delà de son personnage, l'auteur au-delà de sa création. Ni Albator-l'animé, ni Albator-le-manga ne se réduisent à Albator-le-capitaine, cela tombe sous le sens. Albator est aussi, voire surtout, affaire de protagonistes, d'univers, d'état d'esprit - de philosophie, presque, à sa manière. Une fantaisie spatiale qui tient autant du divertissement que de l'exorcisme, hantée qu'elle est par le fantôme de la Seconde Guerre Mondiale et cette même question, posée sans relâche - ni trouver de réponse : "comment rester fidèle à ses principes quand devoir et morale s'opposent, et qu'il faut choisir entre son pays et son humanité ?". De ses premiers pas en 77 jusqu'aux écrans de nos multiplex hors de prix, Harlock le renégat (de son vrai nom) n'a cessé de croiser le fer avec des ennemis ambigus, égotiques, écartelés entre leur mission et leur volonté propre, conscients de servir des tyrans mais trop orgueilleux pour déserter, manipulés par des supérieurs hiérarchiques qui n'ont aucun scrupule à exploiter leurs failles ou à faire vibrer la corde sensible du patriotisme : autant d'évocations à peine masquées des soldats japonais et de leurs homologues allemands, tels que Matsumoto les décrits dans ses mangas engagés. Victimes et bourreaux. A blâmer comme à admirer. Pris dans un tourbillon de paradoxes éthiques et culturels dont seule la mort saurait les délivrer. A l’honneur des trois épisodes de The Cockpit - poignants autant qu’incontournables.

En regard de ces considérations, téléporter notre Albator dans une trame à l'occidentale et structurellement mise au goût du jour (thématiquement, elle l'est bel et bien), voilà quelle aurait été la vraie trahison, quoi que puissent suggérer les apparences. Il conviendra d'ajouter par principe que si grand-guignolesque soit-elle, cette trame n'est pas plus absurde, ni plus vaine, ni plus creuse, ni plus infantile que celles des Oblivion, After Earth, Elysium ou Pacific Rim qui ont fait les beaux soirs des salles obscures en 2013 ; à ceci près que là où les faiseurs de blockbusters hollywoodiens privilégient l'illusion de la cohérence à la cohérence "pour de vrai", cet Albator nouvelle génération ne feint pas, ne triche pas, ne ment pas. Comme sa vedette masculine, le film avance fièrement, à visage découvert, et ne présente son récit que pour ce qu'il est, pour ce qu'il a toujours été - tant pis s'il semble être d'un autre âge ou s'il contraste avec le sérieux presque austère de sa direction artistique. Et bien que cette histoire de Terre originelle interdite aux fils de colons ne dépaysera pas les habitués de la saga Gundam (pas de hasard, Harutoshi Fukui, le scénariste, a aussi officié sur la série Unicorn), elle n'en conserve pas moins les thèmes chers au dessinateur, ainsi que ses constructions narratives feuilletonisantes. Preuve en est que si le temps lui-même a maintes fois bégayé sans égard pour le pauvre Tadashi (Ramis), éternel jeune premier condamné à voir son père assassiné encore, et encore, et encore à chaque nouvelle suite-reboot-variation, le Yama de ce long-métrage dépoussière ce rôle sans oublier d’en préserver l’essence, lui insufflant une noirceur du plus bel effet...

Et si le spectateur non-averti peut tiquer dès les premières scènes à la vue d'une Kei Yuki (Nausicaa) en apesanteur, dans le plus simple appareil, l'espace d'une parenthèse "fanservice" aussi sage que gratuite - et s'il peut s'agacer légitimement de cette faute de goût malheureuse -, force est de constater que la séquence fait écho à bien d'autres, éparpillées aux quatre (mille) coins du Leijiverse et relevant, on le sait bien, d'une longue tradition du manga (voire de la bande dessinée en général, nos auteurs européens n'étant pas les derniers quand il s'agit de mettre leurs héroïnes à nu).

Ce qui n'excuse rien, c'est vrai, mais pas plus aujourd'hui qu'hier, et contraste par son esthétisme pudique, candide, avec la honteuse surenchère à laquelle se livrent les productions actuelles en la matière. Si bien qu'au bout du compte, seule la dimension satirique originelle a été sacrifiée pour le bien d'un récit qui ne s'y prêtait guère, où elle n'aurait pu que perdre un peu plus un public aux souvenirs à géométrie variable (convenons-en : de toutes les raisons pour lesquelles on se rappelle ce dessin animé, l'humour est loin d'arriver en première position).

On pointe du doigt ce lifting botoxé à la 3D, qui inflige une balafre en CGI au charme minimaliste des dessins d'origine, au point de leur donner de faux airs de jeu vidéo à gros budget. On déplore le faciès figé, les traits inexpressifs, comme coulés dans la cire, à des années-lumière de ceux d'un Shrek ou ceux d’un Buzz l'Eclair, comme s’il était possible de comparer leurs budgets ou leurs intentions premières. Or en dépit de ses grandiloquents excès pyrotechniques, Albator, c'est à peine le sixième des moyens financiers de Toy Story 3, et des personnages qu'on s'imagine mal en mouvement permanent. Imperturbable par nécessité financière autant que par nature, notre bon capitaine n'a jamais été trop porté sur l'extériorisation des sentiments, lancé qu'il est dans une partie de poker mortel avec les déesses de la destinée. Et si les contraintes matérielles ont longtemps fait partie de son héritage (comme ce fut le cas pour la majorité des séries d'avant le troisième millénaire), les réalisateurs qui se sont trouvé à sa barre ont su habilement composer avec ces dernières, jusqu'à renverser les rapports et s'en faire des atouts, donnant du sens à l'immobilité par opposition au mouvement, de la même façon qu'on peut en donner au silence par opposition au discours. Si bien qu'à force d’itérations, ce mutisme postural a intégré la grammaire de l'animation nippone et cessé d'être subi pour être accepté, voire exploité à contre-emploi - comme en témoignent certaines séquences surréalistes de la série Evangelion, plus proches de l'économiseur d'écran que du 24 images/seconde. Des économies de bouts de chandelles qui ne choqueront pas les enfants biberonnés au Club Dorothée, accoutumés au statisme austère des Dragon Ball Z et autres Ken le Survivant, mais qui les dérouteront autant que leurs aînés dans le cadre haut-standing d'une animation digitale peu coutumière de ce genre de pratiques. Pourtant, le principe est le même, et le rendu à l'écran également. Est-ce à dire qu'Albator aurait dû se contenter des deux dimensions qu'on lui connaît par coeur, ou du seul relief que lui conférait son charisme de rock star ? Rien n'est moins sûr. Car aurait-il pu se montrer plus expressif, plus expansif ou plus démonstratif sans se renier lui-même ? Cela tombe sous le sens, on aurait pu souhaiter le retrouver tel qu'en nos souvenirs, mais sublimé par la technique moderne, cependant n'est-ce pas précisément ce que Rin Taro nous a déjà proposé, en 2002, avec l'arc Endless Odyssey ?

Si l'on peut concevoir que la froideur de ce parti-pris graphique anonyme puisse ne pas faire l'unanimité, une énième redite aurait-elle été préférable ? La réponse est dans la question. Il n’en demeure pas moins qu'en effet, par moments, ce que le long métrage affiche comme de l'audace tombe à plat, voire irrite, à trop singer les cinématiques prétentieuses des nouveaux Final Fantasy (Ezra n'est-il pas le portrait craché du futur Ignis Stupeo Scientia ? Et Yoshihito Ikuta, superviseur des effets visuels, n'a-t-il pas oeuvré sur l’épisode XII ?)… un résultat en demi-teinte, donc, qui n’est pas sans évoquer le fiasco des Créatures de l’Esprit, précurseur malchanceux dont il partage - en plus de son bad guy (conçu sur le même moule actantiel) - quelques tares esthétiques.

A ces fausses notes s'ajoutent un visage qu'on jurerait calqué sur celui de Gabriel Belmont (Castlevania Lords of Shadows), des séquences façon FPS qui n'impressionneront - ni ne surprendront - personne tant elles sont devenues monnaie courante, ainsi que des scaphandres qu'on croirait dérobés dans les vestiaires des deux premiers Bioshock... autant de raisons de faire grise mine pour l'accro de la manette "à qui on ne la fait plus".

Lequel devra néanmoins admettre, s'il possède un tant soit peu de bonne foi, que le port des lunettes 3D se justifie pleinement : malgré ses redondances, le spectacle est total et les batailles spatiales proposent ici et là des plans d'une régressive jubilation. Qu’importe si Kei Yuki, navigatrice en chef filiforme qui a nourri les fantasmes d'une génération, n'est plus que l'avatar physique d'un stéréotype passé de mode : l'oiseau anorexique du capitaine ou la bouche extensible Totoro-style de Yattaran s'intègrent étonnamment bien au décor, illuminés par la présence éthérée d'une Mime plus surnaturelle que jamais.

Quant au nouveau design de l'Arcadia, tout en phalisme et en turgescences, il gagne en ténèbres Gigeréennes ce qu'il y perd en élégance, plus proche du Hollandais Volant que du Queen Anne’s Revenge, du monstre marin que du croiseur interstellaire.

Reste à évoquer la bande son, toute en choeurs et coups de cymbales, qui ne parvient pas à convaincre en dépit (voire à cause) de la démesure de ses envolées lyriques, oubliées à peine entendues, surjouant le grandiose pour forcer l'émotion, fondues dans la masse des thèmes d’Howard Shore, Hans Zimmer et consors - sans déplaire pour autant, mais sans jamais susciter le frisson non plus. Au point que les bricolages au synthé d’Eric Charden et de Didier Barbelivien, composés en coup de vent pour la version française de la première série, auraient sonné plus justes, plus percutants et autrement plus inspirés - à commencer par cette fameuse "bataille" dont on ne se lasse pas, en dépit de son caractère répétitif.

Et pour prolonger dans le même registre, le générique final, platement interprété par l’équivalent nippon des One Direction, aurait pu être sabré au cosmo-gun sans que les trentenaires y trouvent à redire tant les chansons de leurs jeunes années s'y seraient trouvées plus à leur place. Rien que de très logique, en somme… Si le mieux est l'ennemi du bien, ainsi qu’on le raconte, quoi de plus naturel à ce qu'il soit aussi celui notre bien-aimé capitaine ? Comme ses prédécesseurs, il ne parvient cependant à lui infliger que des blessures superficielles, sans jamais réellement pouvoir lui nuire. Tout au plus l’empêche-t-il de donner la pleine et entière mesure de sa badassitude, mais pas de quoi crier « à l'abordage» (ou, plus prosaïquement, au sabordage) pour autant.

Enfin, on accuse le bonhomme d'être un usurpateur, d'avoir volé sa cape, son trône et son gouvernail à un "véritable Albator" dont il ne serait qu'une pâle (façon de parler) copie ; mais on ne pourrait pas se tromper davantage. Car avant de se prononcer de manière si catégorique ou de convoquer l'évidence sur le banc des témoins à charge, il serait judicieux que l'accusation se pose la question qui fâche - à savoir : existe-t-il seulement, ce "véritable Albator" soi-disant absent au casting ? Et si oui, s'agit-il de l'anarchiste alcoolique, poseur et dilettante de la première série, plus occupé à jouer les pères célibataires que les robins des astres ? Ou de son homologue de papier recyclé, irresponsable et bipolaire, qui doit sa survie à la chance plutôt qu'à ses talents ? Ou de l'ex-soldat psychorigide qui fuit le tumulte des combats sans se soucier de l'avenir de la galaxie ? Ou du brigand de grand chemin jovial et insouciant qui mène la vie dure à Warrius Zero ? Ou du boucanier imperturbable et taciturne qui se dresse sans frémir face au mal absolu ? Ou de l'aventurier avec un A majuscule qui fait la nique aux Dieux du Walhalla ?

Si pour beaucoup d'adulescents français, son souvenir reste associé aux traits virils de sa deuxième incarnation télévisée, impossible d'identifier le suspect de manière objective tant il compte de portraits-robots contradictoires : s'il existe un "véritable Albator", il est chacune de ces déclinaisons, sans qu'aucune d'elle ne le soit jamais tout entier - ce qui suffit à expliquer la déception de certains nostalgiques. Lesquels auront sans doute commis l'erreur de croire les paroles de cet hymne martial qui, jadis, saluait son retour en l'annonçant "bien plus beau qu'il n'était dans nos mémoires" : on le sait d'expérience, l'esprit humain ne fonctionne pas comme ça, surtout quand tant d'étoiles ont brillé au-dessus ponts. Les petits garçons et les petites filles d'hier, qui ne manquaient rien des actes héroïques de leur pirate de l'espace préféré, ont eu des décennies pour l'idéaliser, arrondir certains angles, polir certaines aspérités, ne retenir de lui que ce qu'ils appréciaient jusqu'à lui inventer des qualités qu'il ne possédait pas, ainsi qu'on le ferait pour tout premier amour - ce qu'il est pour beaucoup, d'une manière ou d'une autre... Et c’est précisément pour cette raison qu’il existe autant de "véritables Albator" qu'il aura existé d'enfants pour suivre ses odyssées, autant de véritables Albator que d'individus, tous différents et pourtant tous semblables, écrits et réécrits au fil des visionnages. Du personnage lui-même - son passé, son parcours, son intériorité -, on ne sait que trop peu ; et le peu qu'on sait est constamment remis en cause : aussi le devine-t-on plus qu'on ne le connaît et n'en cerne-t-on que les contours, sans qu'il ne montre rien (ou trop peu) de ce qu'il cache symboliquement derrière son bandeau noir. Quel homme est-il, au-delà du capitaine ? Nul ne saurait se prononcer tant les deux se confondent. Peut-être, d'ailleurs, n'est-il plus - ou n'a-t-il jamais été - QUE le capitaine ? En s'avançant masqué (déguisé, en l’occurrence), il invite le spectateur à combler par lui-même ce qu'il sent de vides, de points d'interrogation, et à y substituer son propre ressenti, sa propre interprétation du gaillard - si bien que même ses apparitions à l'écran ne sont jamais fidèles à 100 % les unes aux autres. Composées de fans autant que de créatifs, chaque équipe de réalisation s'en sera elle-même fait sa propre idée, se sera construit son Albator rien qu'à elle dont elle aura porté haut les couleurs en accentuant certains traits pour en occulter d'autres, lui en enlever quelques-uns pour en ajouter tant et plus. Ainsi qu'on l'a brièvement suggéré plus haut, l'Albator de 78 qui s’embarrasse d'une moussaillonne hydrocéphale accro à l'ocarina n'est pas celui du manga, qui envisage à plusieurs reprises d'anéantir la terre et tous ses habitants. L'Albator au visage fermé de 1984 n'est pas le pitre de Cosmo Warrior Zero, déjà marqué dans sa chair mais pas encore borgne, insouciant jusqu'à l'inconscience, peu avare en je-m'en-fichisme et en éclats de rire. Ainsi en va-t-il de même de cet Albator-ci, qui ne tient pas plus du véritable Albator que les autres prétendants au titre mais qui, tout bien considéré, ne tient pas moins de celui-ci non plus. Un Albator à la fois plus noir et plus faillible, plus impitoyable mais moins invincible. Un Albator qui, pour la première fois, transpire l'ambivalence, et qui s'éloigne du mythe pour revenir vers l'homme.

Trop cruel, l'Albator next gen ?

Le film commence à peine que déjà, le bougre n'hésite pas à balancer par-dessus bord les postulants dont il ne veut pas dans ses rangs – tant pis s’il suffit d’une mauvaise réponse pour conduire ceux-ci à une mort certaine ! Ce sont ses règles et nul n'est censé ignorer sa loi. En cela, il opère une rupture franche avec son image d'ami des enfants de la terre, c'est un fait, mais ni avec la figure romanesque du capitaine corsaire (il ne manquerait plus que cela !) ni avec son modèle en noir et blanc, qui n'éprouve aucune réticence à faire feu sur des vaisseaux non-identifiés, en vol tout ce qu'il y a de plus stationnaire, ou à ordonner l'exécution de deux Mazones (Sylvidres) repenties, désarmées, en larmes, sans s'émouvoir de leur humanité inattendue.

Trop absent, peut-être ?

Moins qu'on pourrait le supposer puisqu'à chaque fois que le récit lui a imposé de tenir le premier rôle (habitué qu'il est à officier en marge des récits de ses compatriotes), c'est à travers les yeux d'une jeune recrue que le public a pu les découvrir, lui et son drapeau noir - toujours le même adolescent revêche et sûr de lui qui nous a prêté ses chaussures tandis qu’il esquissait ses premiers pas sur le pont rutilant de l'Atlantis. En conséquence de quoi ne suit-on ceux de notre héros qu'à distance respectable, par l'intermédiaire de ce protagoniste-passerelle chargé de faire le lien entre lui et nous. De ses aventures passées, de ses aventures futures, il ne dévoile que quelques bribes, quelques réminiscences évoquées ça et là au détour d'une conversation avec Mime ou Yattaran, dont on se sent exclu aussi sûrement que peuvent l'être Tadashi ou Yama. Si bien qu'au bout du compte, ses errances et ses luttes, nous ne les partageons que le temps nécessaire à notre alter-ego (qui est aussi le sien) pour passer du statut d'individu lambda à celui de membre d'équipage - voire de potentiel successeur. Ce qui n'a rien d'un hasard, on l’aura compris : l'artifice a été pensé - et bien pensé. Non content d'inscrire la narration dans le cadre traditionnel du voyage initiatique (qui structurait déjà Galaxy Express et Queen Millenium), il contribue à amplifier la fascination qu'exerce le personnage sur ses admirateurs, toutes tranches d'âge confondues. Pourrait-il faire honneur à l’aura de ses glorieux ancêtres, s'il ne se montrait pas inaccessible, insensible, en retrait, ni ne s'exposait pas qu'en cas de force majeure - quitte à devoir laisser ses hommes se sacrifier pour lui, ainsi que le lui commande une tradition vieille de plusieurs siècles. Mais au-delà de sa valeur testimoniale, cette absence par obligation rend le moindre de ses actes, la moindre de ses paroles d'autant plus dramatique (au sens théâtral du terme). A la manière d'un Batman - auquel il n'a jamais tant ressemblé sur le fond comme la forme -, il joue au chat et à la souris avec les attentes et retarde ses entrées en scène, inévitables autant que fracassantes, pour le plus grand plaisir des spectateurs (qui, du reste, ne sont pas dupes du procédé). Chacune de ses interventions se doit d'être mémorable. Chacun de ses moments de grâce se doit d'être à couper le souffle. C'est dans les ombres dont il s'entoure que s’épanouit son mystère et s'écrit sa légende, pas dans la pleine lumière ou sous des projecteurs qui en sonneraient le glas. Tout comme ses silences sont porteurs de sens, tout comme son immobilité se fait mouvement à part entière, c'est aussi - voire surtout - par l'absence qu'il se fait omniprésent.

Criminel, alors ?

Pas plus qu'il ne l'était quand nous applaudissions chacun de ses triomphes, avec l'innocence surjouée des têtes plus ou moins blondes que nous fûmes autrefois. Aussi vertueux qu’il se veuille, Albator a toujours eu du sang sur ses mains - humain, extraterrestre, sans distinction -, cela fait partie intégrante de sa panoplie de guerrier. A la différence qu'il n'est dorénavant plus question de le laisser fermer les yeux sur les conséquences humaines, matérielles et morales de ses faits d'armes. Divertissement oblige, il fendait jusqu’ici l'espace comme les vaisseaux adverses avec la même désinvolture, éperonnant à tout va sans jamais (ou rarement) se retourner ni compter ses victimes, reléguant ces dernières à l'arrière-plan comme autant d'abstractions, d'éléments du décor dont ni lui, ni le spectateur n'auraient songé à se préoccuper. Le point de vue adopté était celui d'un haut gradé sur le champ de bataille - de ceux qui ne peuvent pas s'offrir le luxe de la compassion, de crainte d'y perdre la vie ou, pire, les soldats sous ses ordres. Les remords seront pour plus tard : Albator doit accomplir sa mission, coûte que coûte. Son ami Alfred a montré l'exemple, et chaque cadran anecdotique de ses tableaux de bord le lui rappellent en permanence. La fin justifie les moyens, le contexte légitime les exactions, le vainqueur décide après coup de ce qui était ou non condamnable ; et ce n'est qu'au prix de ce raisonnement biaisé qu'on peut hisser le boucher sur un piédestal. Le film, lui, s'applique à l'en faire tomber - ou, au moins, à le placer (et le spectateur du même coup) face à ses fautes et à leurs conséquences. La guerre n'est plus un alibi, elle ne peut plus servir à excuser les exactions d'un hors-la-loi prêt à tout pour défendre ses idéaux, si honorables soient-ils. Si les combats de ses prédécesseurs contre les Sylvidres ou les Illumidas (Humanoïdes) posaient de manière relativement claire les limites du bien et du mal, ce nouveau cru s'y refuse avec force et traite ces deux extrêmes sur un même pied d'égalité, au mépris des tabous narratifs en vigueur. A commencer par celui de la légitimité de cette croisade vengeresse, à laquelle on assiste par le bout étriqué de la lorgnette. Au justicier sans peurs et sans reproches que rien ne paraît pouvoir ébranler, le long métrage oppose un spectre pétri de contradictions, dont on ne saurait dire s'il tient du génie visionnaire ou de l'âme en peine égoïste, mythomane et à moitié folle - sans d'ailleurs jamais vraiment trancher sur ce point. Un postulat qui, ça n’aura rien d’une surprise, ne sera pas au goût de ceux qui venaient assister aux exploits positifs d'un super-héros à la japonaise, mais qui s'avère aussi audacieux qu'intellectuellement gratifiant. Et bien que l'influence du Dark Knight Rises de Christopher Nolan soit indiscutable, l'archipel nippon n'a pas attendu sa sortie en salles pour fouler au pied ses idoles (comme en témoignent - entre autres - les Patlabor de Mamoru Oshii, le Casherrn de Kazuaki Kiriya, l’Overture de Saint Seiya Tenkai Hen - qui a fâché les fans pour des raisons similaires - ou même, dans un autre registre, la série parodique Dokkoida ?!, laquelle lui invente une retraite de savant fou friand de jeux vidéo érotique).

Une parenté cinématographique occidentale évidente, donc, à ceci près qu'il n'en a pas (et c'est peut-être un tort) les aspects didactiques, et se contente de suggérer ce qu'il aurait dû - ou pu, au moins - explorer.

Trop humain, finalement ?

Pour la première fois de sa longue carrière, Albator se trompe, Albator doute, Albator est brisé, Albator échoue, Albator pleure, même - et sur son sort, cette fois, plutôt que sur celui de son regretté "vieil ami", ainsi qu'il avait coutume de le faire. Certains spectateurs ne le lui pardonneront pas - ou, plus prosaïquement : ne le pardonneront pas au réalisateur. Quoi de moins agréable que de voir un mythe personnel réduit au statut de simple mortel (ou qui, du moins, ne vaut pas mieux).

Comme les studios Gonzo l'avaient fait courant 2003 entre les lignes de son Last Exile (à traits à peine couverts), pendant près de deux heures, Aramaki et son équipe s'emparent d'une idole quasi-religieuse et s'appliquent à la mettre en pièces sous les yeux d'adorateurs mortifiés, sans égards pour leur foi ou pour leur sensibilité. Des parents qui n'auraient aucun scrupule à révéler trop tôt l’identité du Père Noël ne sauraient pas causer plus de dégâts, ni susciter plus de colère. Le public voulait que le film s’adresse à l'enfant qui sommeille en lui, qu'il le renvoie trente et quelques années en arrière, le temps d'une aventure épique et optimiste où les morceaux de bravoure l'auraient disputé aux sursauts de tendresse. Or en dépit de sa trame linéaire, le long-métrage se destine à des adultes qui ne croient plus au gros bonhomme en rouge et qui, par extension, ne sont plus censés croire ni au véritable Albator, ni aux happy endings. Plutôt que d'entretenir le mythe, il le ramène (il nous ramène, par la même occasion) à la réalité, en suggérant de manière appuyée que si grands qu'ils puissent être, les justiciers, découvreurs, combattants n’en restent pas moins des hommes, avec ce que ça implique de faiblesses, de limites, de secrets honteux. Ce qui les rend pathétiques, oui, parfois, mais d'autant plus admirables quand ils se relèvent pour faire face, non à l'adversité mais à leur reflet dans la glace. L'ennemi d'Albator, ici, ce n'est pas la coalition Gaia. L'ennemi d'Albator, c'est Albator lui-même : le mythe dont il est prisonnier et l'individu au-delà, dont il refuse d'accepter les péchés et ne reconnaît pas les torts. Sous prétexte de conter sa lutte de longue haleine contre l'élite politique terrienne, le scénario nous invite à assister au passage d'un mythe païen - de l'ordre du fantasme et de la superstition, un mythe surnaturel construit malgré lui, plus une malédiction des dieux que la consécration d'un héros méritant -, à un mythe "vrai", un mythe humain, rationnel, réfléchi - infiniment plus fragile et, par-là même, infiniment plus remarquables. Avant de conclure qu'il n'est pas possible de se forger des mythes authentiques sans renoncer d'abord à ceux, factices, auxquels nous nous attachons pour de mauvaises raisons. Un message simple, naïf dans le bon sens du terme, tout à fait dans l'esprit des récits de Matsumoto et que l'on peut - voire que l'on doit - entendre sur plusieurs plans : religieux, politique, culturel... ce qui ne le rend que plus pertinent. Qu'importe alors si le twist final est trop prévisible. Il parfait la démonstration et ouvre les perspectives, avec une rigueur scolaire du plus bel effet.

Plus admirable encore : la façon dont le long-métrage file la métaphore historique, opérant un renversement d'une incontestable puissance symbolique : dorénavant, les adversaires du capitaine ne portent plus le poids de la Seconde Guerre Mondiale sur leurs épaules, ils n'en matérialisent plus ni les traumas, ni les aberrations. Le monde a changé, pour le meilleur et pour le pire. Depuis le premier vol de l'Atlantis, de nouveaux citoyens ont vu le jour et ont grandi sans connaître ni la fièvre des combats, ni le feu des bombardements, ni la pauvreté d'un pays à reconstruire. Aussi tragique qu'elle ait pu être, la grande Histoire est devenue une petite parmi d'autres, les souvenirs se sont émoussés. L'inconscient collectif en conserve des stigmates - une cicatrice, un bandeau sur l'oeil -, mais il a évolué, à mesure que ce présent de cauchemar se muait en passé de plus en plus lointain, de plus en plus abstrait, dont Albator aurait pu n'être qu'un des derniers vestiges s'il n'avait évolué de conserve. Et si c'est bien ce qu'il semble être quand commence l'aventure, vestige d’un affrontement dont personne à part lui et quelques autocrate ne se souvient vraiment, il donne à mi-parcours sa pleine mesure narrative, allant jusqu'à inverser les valeurs et se faire le reflet, tristement d'actualité, d'un clivage sociétal de plus en plus marqué. Coup de poker autant que de génie, ce sont à travers lui deux visions opposées de l'après-guerre qui se confrontent, l'une engluée dans ses regrets, ses remords, son orgueil nationaliste, et l'autre qui n'aspire qu'à faire table rase et aller de l'avant, sans rien oublier de ses erreurs ou de ses blessures... Car qu'est cet Albator, si ce n'est la personnification d'"un certain Japon" - celui-là même qui se refuse à considérer ses mauvais choix pour ce qu'ils sont et à les reconnaître officiellement comme tels, avec une obstination proche du fanatisme ? Ce Japon d'arrière-garde qui refuse de faire la paix avec son héritage déshonorant et qui, plutôt que de s'en libérer, préfère le glorifier, le réécrire au jour le jour (à défaut de pouvoir rebooter l'univers), de manière à ne pas avoir à en rougir, quitte à mentir, à se mentir, à abuser celles et ceux qui ont placé leur confiance en lui. Précisément ce Japon qui, quelques mois en amont, condamnait avec virulence le dernier chef d'oeuvre de Miyazaki, au motif que son Jiro cherche à y concevoir de beaux avions plutôt que des avions au service de la patrie - réactions d'autant plus glaçantes que le propos n'a aucune portée pamphlétaire ni aucune velléité moralisatrice. Un Japon qui se dérobe sans fin en se donnant l'impression de faire front, par désespoir plutôt que par malice. Un soldat sans cause. Un fou travesti en héros. Celui qui porte en lui le mal dont il se prétend le remède. Le premier des coupables qu'il clame vouloir châtier. Un personnage à plaindre autant qu'à détester, à craindre autant qu'à estimer, auquel le film oppose la fougue d'une génération lasse de cet immobilisme, prête à prendre la relève. Une génération indécise, immature, révoltée, qui ne croit plus aux valeurs sans nuances de ses aînés, mais qui n'a pas d'alternative vers laquelle se tourner. Une génération qui ne se retrouve pas dans les idéaux d'un autre âge de ceux qui tiennent les rênes et qui, seule, pourra permettre au pays de prendre un nouveau départ, de retrouver sa place au sein du Grand Tout auquel il appartient. A condition, bien sûr, qu'elle parvienne elle aussi à triompher de ses démons. En ce sens, la confrontation entre Yama et Albator les sauve autant l'un que l'autre, les extirpant de la spirale de culpabilité qui leur dicte leurs actions : au premier, elle donne une direction, elle trace un chemin. Au second, elle apporte la rédemption tant espérée. En effet, ce n'est qu'au moment où ce dernier cesse de fuir ses responsabilités, au moment où il renonce à ce projet absurde et criminel qu'il a élaboré pour ne pas avoir à les assumer, au moment où il reconnaît publiquement ses fautes, au moment où il se confesse et où il rend les armes qu'il devient un héros. Au-delà : un modèle, un exemple, une source d'inspiration. Précisément tout ce qui fait défaut à celles et ceux par qui le progrès pourrait arriver.

Pour autant, Shinji Aramaki n'est pas un artiste, on le sait. Faiseur d'images et technicien dans l'âme, il maîtrise les budgets, les échéanciers, les cahiers des charges, les cadences de production, mais n'a pas d'ambition artistique particulière, ce n'est pas son domaine et il semble s’en accommoder. Il suffit de comparer ses deux Appleseed aux Ghost in the Shell de Mamoru Oshii pour en avoir confirmation : le réalisateur s'occupe plus de forme que de fond, de spectacle que de substance ; en conséquence de quoi le cinéphile averti aura-t-il abordé son travail avec la méfiance de rigueur, que n’auront pas manqué d’alimenter quelques bandes annonces blockbusterisée jusqu'à l'écoeurement. Or si le résultat ne parvient jamais à rivaliser avec l'indétrônable Arcadia of my Youth, qui servait d'introduction à la série télévisée diffusée en 84, si ses batailles spatiales se font trop redondantes, si le quart d'heure amputé à la version originale ne joue vraisemblablement pas en sa faveur, si la nécessité de former un tout cohérent pèse sur sa structure scénaristique, si le premier degré tend à étouffer son sens véritable et si son maître d'oeuvre n'y insuffle aucun génie, aucun style à proprement parler, le divertissement proposé n'en constitue pas moins un bel hommage, loin du produit décérébré dont on aurait pu écoper : maîtrisé, intelligent, respectueux de son matériau d'origine - jusque dans ses trahisons et les déceptions qu'elles entraînent. Lesquelles constituent paradoxalement autant de preuves du succès de cette entreprise iconoclaste, plus exigeante qu’il n’y paraît.

Pouvait-on en attendre moins - pouvait-on en espérer plus ? –, d’un nouveau chapitre canonique à l’intemporelle légende Albator ?

It's a nameless lonely blues...

Liehd
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le 13 avr. 2014

Modifiée

le 26 août 2024

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Liehd

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