Xavier Beauvois ne nous emmène ni dans l'action ni dans une enquête policière mais dans le portrait sans emphase d'une gendarmerie normande, aux interventions répétitives qui ne s'encombre plus d'émotion face à la misère du monde. L'inceste se pratique dans les caravanes, les hommes se perdent dans la boisson et les agriculteurs proche du suicide tentent de se battre contre les contrôles de la DDPP pour quelques mètres carrés manquants, laissant les problématiques d'élevage en batterie de côté, pendant que les services d'ordre se débattent avec leur budget.
Jouant de la fracture dès le départ, ce sera un homme tombant d'une falaise, au beau milieu d'une séance photo pour un couple amoureux, qui vient nous rappeler à la réalité des suicides dont on ne parle que si peu, à ces actes qui font tâche dans le bonheur et l'aveuglement quotidien, pour se diriger subtilement dans la caractérisation floutée du capitaine (Jérémie Rénier) qui par excès de zèle ou dans le devoir de ses fonctions, c'est selon, aura tué un homme. Ce sera alors les procédures pesantes d'une administration absente du terrain, avec ses commandants dépassés et sans réponse face à l'acte meurtrier du capitaine, l'interrogeant et bafouant ainsi toute sa confiance. Beauvois centre son intrigue sur les rapports humains et la dangerosité des relations de proximité, par l'importance du dialogue tout autant que ses défaillances en y croisant le portrait du capitaine en père de famille, n'hésitant pas à marquer son autorité avant de laisser femme et enfant à l'incompréhension de son départ et de sa fuite en avant.
De plus en plus taiseux, se fermant lentement à ses proches, décidant de fuir, laissant derrière lui, une femme et une fille qui attendront son retour, Jérémie Rénier est sans contexte un excellent acteur et chaque passage démontre avec force le poids du traumatisme et son jeu tout en finesse. Quant au personnage de l'épouse (Marie-Julie Maille) il nous agacera peut-être par sa profonde empathie à la limite de la flagellation mais révèle bien les failles de sa condition. Ce sont aussi tous les autres qui révèlent les problématiques actuelles. La violence des représentants de la loi pour Quentin (Victor Belmondo) et sa dénonciation face à un gendarme qui ne semble pas faire dans la dentelle, ou la délicate Carole (Iris Bry) dans son refus d'avoir des enfants pour nous rappeler à la nécessité de changement nécessaire, sans pour autant revoir nos habitudes. Et bien sûr, Geoffroy Sery, non professionnel, qui marque de son physique de viking, parfait en agriculteur bien remonté face à sa condition précaire.
Plutôt silencieux, aux tonalités musicales dépressives, Beauvois filme Etretat, ses maisons, ses bars de quartiers et ses mères attendant le retour de leur fils qui se sont perdus au comptoir du coin pour un passage éclair du cinéaste et une touche d'humour. On sera alors séduit ou non par la longueur, mais certainement par ses contours brumeux et ses falaises à pic procurant d'autant plus un aspect décalé par la beauté des lieux et son calme, et qui participent au charme et à la poésie du métrage. On appréciera aussi la partie océane, rendant parfaitement toute la solitude de l'homme, seul face à l'immensité, au ciel s'assombrissant et faisant rouler les vagues pour une nature qui ne s'embarrasse pas des déprimes passagères.
Car si Beauvois nous intime sans grande finesse ce qui va advenir, notamment dans son introduction qui insiste sur le bonheur familial dont on sait qu'il va se fracturer, finalement, il laissera de côté ce que l'on attendait de plus frontal, voire brutal à faire voler en éclats par la nocivité du capitaine, l'image idyllique de la famille pour ramener tout son petit monde dans la sérénité. En même temps, c'est bien cette réalité sans sursaut et ce retour à la normale qui rend toute la crédibilité à l'intrigue.
L'humanisme, l'authenticité et l'absence de misérabilisme emportent l'adhésion. Et puis, on en sentirait presque les odeurs marines du port de pêche, pour des envies d'escapades.