Alceste à bicyclette par abarguillet
Gautier Valence ( Lambert Wilson ) débarque à l'île de Ré avec une idée en tête : retrouver son viel ami Serge Tanneur ( Fabrice Luchini ), retiré depuis plusieurs années dans l'île loin des vanités du monde, pour lui proposer de remonter sur scène à ses côtés dans une pièce de Molière : le Misanthrope. Le fringant quinquagénaire a très envie de se parer des plumes du paon en quittant son emploi d'acteur de téléfilm afin d'endoser celui autrement gratifiant d'acteur de théâtre en présence de Serge Tanneur, un comédien qui, jadis, a fait vibrer les salles.
Entre les deux hommes s'engage une véritable parade nuptiale de façon à choisir qui jouera Alceste et qui Philinte et lequel l'emportera, de celui jamais las des honneurs ou de celui qui a choisi de vivre en ermite et, ce, au long d'une compétition où les susceptibilités se frottent et s'usent comme des galets. Bien sûr, je ne révélerai pas la suite, mais je ne peux que vous encourager à aller voir cet opus où, pendant près de deux heures, vous serez bercé par la musicalité des alexandrins du divin Molière, récité ou clamé avec panache, malice, colère, par ces deux acteurs dont la rivalité permanente ne fait que pimenter les scènes.
Luchini excelle dans ce film qu'il a inspiré à Le Guay et où il ne peut manquer de faire usage des nuances subtiles de son registre personnel, celui d'un surdoué amoureux du beau langage et des belles lettres. Alceste à ses heures face à un Lambert Wilson superbe avec lequel le duo, ou plutôt le duel à fleurets mouchetés, prend son rythme et son ampleur : Wilson fat, consensuel et fielleux, Luchini acariâtre, professoral et blessé. Les mots crépitent, les phrases fusent, celles d'un beau langage où la seule chose à éviter est la faute de goût. Spectacle intelligent, bien mené, où le décor de l'île avec ses étangs, ses lumières automnales, ses glacis sur la mer joue le troisième personnage, un personnage avec lequel on ne triche pas malgré les vicissitudes de la vie, la jalousie, les notoriétés illusoires. Ainsi la vraie vie fait-elle sans cesse irruption comme cette belle italienne interprétée par Maya Sansa qui réveille des désirs assoupis chez nos protagonistes. Oui, un film sur l'art de se méprendre de soi et des autres, sur les rôles que nous nous attribuons souvent à tort, car Alceste n'est peut être pas celui qu'on croit, pas davantage que Philinte d'ailleurs, et c'est là que le film joue tout en finesse entre un histrion en constante représentation et un égotiste qui en veut au monde entier et principalement à lui-même. Ce n'est pas ici le jeu de l'amour et du hasard mais de la lucidité et de l'incertitude. Un régal.
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