Alice dans les villes par Zaul
Tout est porteur de sens dans ce film : les interrogations du héros sur son rapport à la réalité, sa fascination pour les villes, sa manie de tout immortaliser avec son vieux polaroid sx70... L'image à venir, en attente : symbole de sa recherche poétique et de son impuissance, en un sens de tout le blanc de son existence qu'une photo voudrait combler, et que la ville finit, tant bien que mal par remplir, par autre chose, peut-être, que ce qu'il souhaiterait. Comme des images sur l'écran du tube cathodique, ou les publicités dehors, le bruit dans des ruelles. « Rien ne ressemble à ce que j'ai vu », avance-t-il au début du film, en examinant ses clichés de la ville : est-ce parce que la création leurre, toujours, la réalité, ou parce que lui-même est trop désaxé et malheureux pour créer?
Et puis sa vision des choses progresse lentement, elle change d'optique grâce à cette enfant qu'il prend sous son aile, gamine difficile et touchante, belle à croquer, à demi abandonnée par sa mère... Du besoin impérieux de remplir et combler un manque, de faire de l'art un exutoire voué au vide et à l'errance, il se redécouvre dans une autre errance, une errance à deux, en décidant de s'occuper d'elle. De prendre de l'altitude jusqu'à se laisser prendre en photo, revivre. De se baigner à nouveau dans la ville.
D'une lenteur délicieuse, mesurée et contemplative, ce road movie trop méconnu oscille un peu entre Beckett et Kerouac : on suit ces deux personnages un peu perdus, renvoyés à un langage vital mais du presque rien, langage de l'attente, de l'espoir, de la survie. Plus qu'un décor, la ville est ici une symbolique porteuse en contradictions : là métaphore d'un déroulement sans fin, d'une perte. Bruyante, mangeuse d'hommes, tristement moderne, télévisuelle, folle déjà. Ici lieu de promenade et de vie, de rencontres, où s'épanouit une relation aussi riche qu'improbable.
Une très belle découverte.