"Alice et le Maire" est un film qui faisait a priori très envie : entre la référence rohmerienne du titre et de la présence de l'exquis Luchini, et un sujet qui interroge la place des idées - et partant de là - des intellectuels dans la politique de gauche, Nicolas Pariser nous promettait beaucoup... Et beaucoup plus que son film était en mesure de tenir...
Si "Alice et le Maire" commence bien, grâce à un postulat de départ enthousiasmant - l'irruption d'une normalienne ignare en termes de Politique dans l'équipe d'un maire prestigieux mais épuisé, qui va être intrigué puis séduit par cette jeune femme et l'opportunité qu'elle lui offre de renouer avec une certaine profondeur du discours socialiste -, le film se perd rapidement dans un vague no man's land où le scénario fait feu de tout bois, sans véritablement embrasser son sujet. Il est trop facile de brocarder la prépondérance des "communiquants" et du Marketing dans le geste politique, et de rire des jeux de pouvoir et médiocres jalousies qui embrasent le microcosme de la mairie - comme d'ailleurs n'importe quel groupe humain. Il est dommage de consacrer trop du précieux temps du film à ces évidences qui caressent le public "dans le sens du poil", et de ne jamais entrer véritablement dans la réflexion "philosophique" promise...
On sait bien que notre époque ne veut plus entendre des personnages disserter sur le Pari de Pascal comme à l'époque bénie de "Ma Nuit chez Maud", mais, soyons lucides, Pariser n'essaie même pas de dépasser le stade de la citation convenue de Jean-Jacques Rousseau et du name dropping cultivé ! Le personnage d'Alice est soit trop mal écrit - entre séduction banale d'un imprimeur poujadiste et refuge cocooning dans les bras d'un ancien ami-amant, pas grand chose de solide à se mettre sous la dent ! - soit trop mal interprété par une Anaïs Demoustier transparente (à propos de laquelle on peine à comprendre certaines louanges de la critique...).
Heureusement, me direz-vous, il y a Luchini, parfait comme toujours lorsqu'il abandonne son histrionisme et joue avec pudeur et sensibilité le rôle de cet homme désemparé face à sa vocation qui meurt, face aux femmes qui lui font un peu peur, et face à la vieillesse qui s'avance. Heureusement, il y a aussi in extremis un constat accablant sur les choix du Parti Socialiste, écrasé entre la pression écologiste et la toute puissance du discours de droite, qui martèle que face à la "réalité financière", il n'y a plus d'idéologie possible : en préférant à une remise en question malaisante des croyances de son électorat classique (joli brocardage de l'échec actuel des Grandes Écoles !) l'habituelle négociation hypocrite entre "éléphants" du bureau du parti, on voit clairement ici combien le PS condamne la gauche à l'échec.
Les extrémistes à l'asile de fous, les "communiquants" à la mairie, l'intellectuelle revenue à un métier et une vie plus confortables, "Alice et le Maire" se conclut donc sur le triste constat de l'échec de la réflexion démocratique. Ce n'est pas une nouvelle, et on aurait préféré que Pariser ouvre des pistes plutôt que de se contenter d'un tel bilan. On rêve d'un film qui se serait réduit à une scène unique de construction conjointe du fameux discours du maire, même si l'on imagine bien le risque financier d'une telle approche. Rohmer peut dormir tranquille, sa couronne n'est pas prête de lui être ravie. Plus grave sans doute, les banquiers qui nous gouvernent et les rassemblements nationaux nauséabonds en embuscade peuvent également dormir sur leurs deux oreilles, la gauche n'a toujours pas rencontré les intellectuels capables de l'aider à définir une nouvelle trajectoire...
[Critique écrite en 2019]