Comme le studio de production Warner Bros le craignait, Mean Streets est un échec commercial. Personne chez la Warner Bros ne sait comment vendre le film. Le réalisateur Martin Scorsese n’en croit pas ses oreilles, en plus le film se fait écraser par une autre sortie de la Warner Bros : The Exorcist, qui engrangera au total près de 193.000.000$ de recettes. Mais Martin Scorsese finira par profiter de cette manne.
Ellen Burstyn, la star de The Exorcist nominée aux Oscars, recherche quelqu’un de jeune et de motivé pour mettre en scène un scénario de Robert Getchell intitulé Alice doesn’t live here anymore, qui raconte le périple d’une veuve et de son fils de douze ans sur les routes de l’ouest américain, en quête d’une vie meilleure. Ellen Burstyn dine avec Francis Ford Coppola qui l’invite à voir Mean Streets. Elle est impressionnée, le voilà son réalisateur, qui que ce soit, il sait comment laisser ses acteurs être eux-mêmes.
Ellen Burstyn envoie le scénario à Martin Scorsese. Ce dernier croule désormais sous les scénarios de films de gangsters. Il doit même demander à sa petite amie Sandy Weintraub de l’aider à lire tous les scripts. C’est Sandy qui tombe sur Alice doesn’t live here anymore, elle est tout de suite enthousiaste et affirme que c’est un des meilleurs scénarios qu’elle a lu, avec des personnages intéressants. Martin Scorsese geint de ne pas connaître les femmes, mais Sandy lui dit que les femmes sont des gens comme les autres.
Martin Scorsese aime l’histoire de cette femme, mariée pendant près de treize ans, qui se retrouve brusquement seul avec un enfant. Le culot de Alice lui rappelle sa propre mère. D’autre part, depuis qu’il sort avec Sandy, ils ne cessent de se disputer. Scorsese à l’impression d’avoir mis fin à son premier mariage pour refaire la même erreur. C’est de ce constat qu’émerge la ligne directive de Alice doesn’t live here anymore. Ce film traite d’émotions, de sentiments, de relations et de gens en plein chaos. Martin Scorsese voulait montrer des gens commettre de graves erreurs, gâcher leur vie, puis s’en rendre compte et tenter de revenir en arrière, avant que tout se désintègre finalement.
Avec trois mois de préparation devant eux, les acteurs improvisent beaucoup, notamment dans la scène entre Alice et Flo dans les toilettes, et entre Alice et David dans leur scène dans la cuisine, après leurs premières ébats.
Les découvertes de Alice et de son fils comprennent entre autres un Don Juan à cravate et sourire permanent, joué par Harvey Keitel, qui s’avère marié et violent ; une jeune voleuse à la sauvette, jouée par Jodie Foster qui n’arrête pas de tout trouver bizarre. Et enfin Kris Kristofferson qui incarne David et qui compose une figure masculine comme on n'en verra presque jamais plus dans les films de Martin Scorsese : solide, rassurant et drôle.
Le studio de la Warner Bros souhaite que le film se termine sur un happy end où Alice retrouve son homme. Martin Scorsese, lui, préfère qu’elle parte mener sa carrière de chanteuse. En fin de compte, ils trouvent un compromis grâce a Kris Kristofferson, qui suggère la scène de la cafétéria. Scorsese choisi pourtant de terminer son film sur un plan de Alice, seul avec son fils, s’éloignant ensemble dans la rue. La première copie dure 3h30, avec une heure entière consacrée à la relation de Alice et de son époux volage, joué par Billy Green Bush, qui établit d’emblée le cercle infernal dans lequel l’héroïne est coincée. Mais Ellen Burstyn n’est pas de cet avis. Quand après un premier visionnage, elle se met à énumérer tous les défauts qu’elle trouve au film, Martin Scorsese, promets de ne plus jamais laisser entrer un acteur dans sa salle de montage.
Avec ce film, l’espoir de Martin Scorsese d’atteindre le statut d’auteur au sein même du système des gros studio en prend un coup. Serait-ce une des raisons pour lesquelles il dénigrera toujours un peu ce film en disant qu’il était seulement en partie content du résultat. La critique reflète aussi cette tiédeur. Ce film est perçu comme l’anomalie, le vilain petit canard de sa filmographie, le seul film qui parle de émotions, de sentiments et de relations dans une œuvre plutôt vouée à tailler la rude écorce des angoisses masculine.
En définitive, Martin Scorsese a ciselé un film assez loin de son summum créatif, trop absorbé par une appréhension viscérale du désordre et de l’avidité du monde. Le Scorsese qui réalise ce film s’est mis en tête qu’il ne comprend rien aux femmes et ne peut les diriger, pourtant, Ellen Burstyn remportera l’Oscar de la meilleure actrice en 1975 pour son rôle d’une femme épuisé par sa journée de travail, mais bouillante de fougue et d’indignation, et dont l’humour plein d’auto-dénigrement, transforme les scènes avec son fils en véritable sketch œdipien.
Aujourd’hui, c’est plutôt la sincérité de Alice doesn’t live here anymore qui saisit le spectateur. Son œuvre possède un esprit joyeux, un peu barré et désespéré. Il est toutefois important de rappeler qu’une heure entière a été enlevée du film et que, sans cette heure là, les échecs sentimentaux de Alice apparaissent comme des échec mineur. Aurait-elle été conservé, la répétition du cycle émotionnel de l’héroïne aurait sauté aux yeux.