Personne n'ignore que la gestation de Alien 3 a été encore plus douloureuse que celle du dog alien éventrant le pauvre Spike. Au point que son metteur en scène, David Fincher, ne désire plus du tout parler de ce qui restera, pour lui, une blessure ouverte et vive, un traumatisme intense.
Fincher sera le dernier d'une longue liste d'intervenants et de créatifs à avoir été rincés par l'entreprise.
Nombre de scénaristes se seront ainsi penchés sur son script, aux concepts et aux idées les plus décalées : comme cette planète de bois, cette communauté religieuse qui devait y élire domicile. Ou cette idée d'explorer la planète des monstres, ou encore de les faire arriver sur terre. Il a même été longuement question de faire cette deuxième suite... Sans le personnage d'Ellen Ripley. Repris, modifié, trituré au gré des volontés de ses producteurs et des différents réalisateurs convoqués, fascinés par la mythologie de la franchise ou simples mercenaires, jetant tour à tour l'éponge.
Tout cela pour revenir, plus ou moins, aux idées de départ de William Gibson : une planète prison claustro, agrémentées de celles de Vincent Ward, qui aura le temps d'apporter, sous sa plume, la « grossesse » de Ripley ou encore l'atmosphère religieuse du film, avant de rendre son tablier. En effet, harcelé par les désidératas de la Fox, espionné par des assistants à la solde du studio, lui aussi débarque, lessivé et dégouté, du vaisseau spatial.
Si la phase de development hell semble prendre fin, l'enfer sur terre, lui, ne fait que commencer pour Fincher, qui, pour son premier long métrage, doit affronter la pression de son studio et les coups du sort, comme la maladie de Parkinson diagnostiquée chez Jordan Cronenweth, son directeur de la photographie initial.
Le reste n'est que frustration, colère et rage : Fincher filme en plein cauchemar un scénario modifié à même le plateau, tandis que ses relations avec la Fox deviennent atroces, elle qui imaginait pouvoir contrôler sans difficulté sa nouvelle recrue.
Il ne faut dès lors pas se mentir et constater que Alien 3 souffre de ces stigmates parfois voyants, comme cette fin rushée et aux effets spéciaux approximatifs. Mais malgré son chemin de croix, Fincher arrive à donner, après Scott et Cameron, des images qui s'inscrivent pour toujours dans l'histoire de la franchise, comme ce face-à-face des plus intimes et tétanisants dans l'infirmerie, le monstre ne se trouvant qu'à quelques centimètres du visage de Ripley. Comme cette course-poursuite en vue subjective dans les couloirs sans fin d'une fonderie ou encore la première apparition d'un xénomorphe à la merveilleuse silhouette novatrice.
Il reste aussi une démarche aux idées parfois radicales. Comme ce prologue résumé à de fugaces plans furieusement évocateurs, ou la volonté de piétiner l'ancrage émotionnel d'Ellen Ripley. Comme cette image de cauchemar de Newt, les yeux grands ouverts dans sa capsule, et son visage torturé par la mort qu'elle a vu s'emparer d'elle. Ou sa terrible autopsie, passant plus par les bruitages que par l'image, mais qui réussit à donner au spectateur un sentiment de tristesse lourde. Alors qu'il s'était attaché à elle dans Aliens : Le Retour. Une deuxième mort d'une cruauté sans pareille, tout comme celle de Hicks ou de Bishop.
Mais cette approche crépusculaire s'avère, dans le contexte carcéral du film, plutôt payante, comme le changement de look d'une Sigourney Weaver sexualisée, d'une féminité étrange, de l'atmosphère nimbée d'une repentance de façade et d'une spiritualité artificielle qui ne résisteront pas longtemps à la présence d'une étrangère.
Mais ce qui fait peut être toute la saveur de ce troisième opus, c'est de l'envisager tout autant pour ce que Fincher a été en capacité de shooter, que pour ce qu'il aurait pu être si le film avait eu la possibilité de respirer, si ses créateurs n'avaient pas été bridés et qu'ils n'avaient pas souffert du contrôle tyrannique d'un studio inquisiteur. Tout cela participe aujourd'hui à son aura de film maudit et mal aimé, d'oeuvre reniée par un réalisateur en souffrance.
Un réalisateur qui n'a jamais considéré Alien 3 comme étant son film. Alors même que, de manière inconsciente sans doute, le dernier tiers de l'oeuvre peut s'envisager comme la mise en images des quatorze stations de sa passion, en forme de requiem d'une icône. Tout d'abord, ne peut-il pas être identifié au dog alien pris au piège, forcé d'emprunter un chemin prédéfini, par la fermeture de sas, dans des couloirs dans lesquels on le guide ?
De la même manière, ne s'est-il jamais envisagé dans la peau de Ripley, préférant se jeter dans le vide, sa vision (son monstre ?) serrée contre lui, plutôt que de se soumettre à la volonté d'une major ayant financé son premier effort ?
Lui seul serait en mesure de valider une telle interprétation.
Behind_the_Mask, Prison Break.