Dans cette constante obsession de pérenniser les revenus qu’est la franchise, plusieurs options s’offrent aux décideurs : la continuité la plus lisse pour ne pas brusquer les foules venues honorer les volets précédents (Marvel, par exemple), ou au contraire l’exploration d’univers visuels et artistiques plus tranchés de manière à exciter l’intérêt, comme l’a fait à ses débuts la franchise Mission : impossible. Alien a plutôt tendance à rejoindre cette option sur sa tétralogie, avant que Scott ne reprenne la main par la suite avec les extensions Prometheus et Covenant. L’arrivée de Jean-Pierre Jeunet, frenchie remarqué pour son travail avec Caro va ainsi insuffler une créativité nouvelle, notamment lorsqu’il ramène avec lui le chef-opérateur Darius Khondji.


Il faut le reconnaître d’emblée, la greffe prend, et l’incursion dans la SF semble même une excroissance de l’univers bâti dans La Cité des Enfants Perdus : même tonalité verdâtre, prééminence de la rouille, de l’eau et d’univers aussi étouffants que décatis, pour une intrigue résolument sombre et dénuée de héros absolument positifs. La progression sur les trois premiers épisodes, faisant des industriels avides d’exploiter les capacités des créatures les véritables monstres, trouve ici une forme d’apogée, renversant la traditionnelle apparition des aliens. Alors que ceux-ci s’invitent par une incursion chez les hommes en position de proie, ce volet les présente comme enfermés dans des cages de verre, et soumis à diverses expérimentations, notamment au fil de séquences sadiques qui poussent le spectateur à une quasi empathie envers les monstres, préférant leur grâce organique au cynisme pervers des hommes qui les détiennent.


Ce regard désabusé sur l’humanité, allié à une belle gestion de ces décors carcéraux est l’une des réussites du film, pour lequel le jeu de massacre va prendre des résonances singulières. Le personnage de Ripley concentre ces ambivalences : sa résurrection par clonage, loin de se limiter à une putassière remise en service, achève l’osmose qui la liait à sa meilleure ennemie. Weaver, à son sommet, écrase toute la concurrence en termes de présence et (et particulièrement la pauvre Winona qui fait bien pâle figure en droïde sidekick), offre une performance de basket d’anthologie et déplace la lutte humains/aliens sur un terrain plus philosophique, celui des êtres ayant encore ou non une morale, et donc une âme. Alors que la science ne semble rien pouvoir comprendre à la bête, c’est la femme fertile la portant en elle qui saura le mieux en réchapper. La course continue combine ainsi le plaisir du thriller avec un regard acide capable de transpercer les cloisons comme les apparences, où l’on finit par se demander s’il est nécessaire de sauver qui que ce soit dans ces bas-fonds, notamment lors de séquences d’attente, de parcours éperdus qui ajoutent à cette atmosphère malade et malsaine. La visite du labo et son incendie par Ripley, confrontée aux différentes versions d’elle-même jusqu’à la réussite, très forte en ce qu’elle parvient à mêler l’horreur à un véritable sens du pathétique, permet aussi une réflexion symbolique assez malicieuse sur les multiples exploitations d’une franchise à succès qu’on répliquerait jusqu’à l’absurde...


Toutes ces qualités qui permettent de quitter l’ornière de la grosse machine donnent donc une âme au film. C’est peut-être même cette volonté d’indépendance qui justifie le grotesque vers lequel dérive la dernière partie, assez peu convaincante dans ces délires de mise bas et d’infanticide par pulvérisation. On sent l’embarras à conclure, tant la gangue pessimiste de ce regard sur l’humanité l’a mise dans une impasse. Ce regard incertain sur l’avenir peut d’ailleurs sembler bien prémonitoire quand on constate les directions hasardeuses prises depuis lors pour poursuivre ces perforantes fécondations.


(6.5/10)

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le 10 avr. 2020

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Sergent_Pepper

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