Pourquoi, sur mon podium, j’ai placé Alien : la résurrection, objet singulier de la saga, juste sous son ancêtre fondateur ?
Parce que Jeunet, extraterrestre du cinéma français, s’est approprié le fond pour lui donner sa forme. Du futur aseptisé de Scott, maladroit de Cameron, moite de Fincher, nous passons à un futur poussiéreux, presque obsolète. L’esthétique d’Alien passe au miroir déformant ; les points de vue grattent, démangent, dérangent. Tous ces visages en contre-plongée flottent dans une atmosphère jaunâtre comme des organes en bocaux. Les gros plans poissonneux, ronds, sont inquiétants, ils insufflent à ce (presque) dernier volet une ambiance de laboratoire, d’un cabinet de curiosités.
Le scénario est plus fin, les dialogues moins primaires, drôles. Les acteurs sont impeccables : Pinon en infirme petit bagarreur, Winona Rider froide, robotiquement lisse et délicieusement humaine, Ron Pearlman rugueux téméraire, et Weaver, plus femme et pourtant plus couillue.
Ripley devient la mère de ce qu’elle veut détruire, de son enfant incestueux. La relation entre elle et le monstre est plus ambiguë, plus charnelle ; de fascinée elle devient l’objet de la fascination. Elle devient elle-même le corps étranger, le monstre, à l’image de Jeunet qui, dans ce vaste pays de la grosse production –dans l’Amérique cinématographique, est l’Alien dont auront peur les fans inconditionnels de la série, sur lequel ils cracheront parce qu’il est différemment plus fou, parce qu’il a tenté le tout pour le tout. Pourtant, quelle belle résurrection !