J’ai un rapport très personnel avec cette saga et en particulier le film de Ridley Scott car il s’agit tout simplement d’un des premiers films que je me souviens avoir vu dans ma vie. Je devais avoir aux alentours de sept ans (je ne sais plus exactement, c’était juste avant la diffusion de la Résurrection sur Canal+). La scène dite du Chestbuster reste sans doute la scène qui m’a le plus marquée et l’exploration du vaisseau extraterrestre uniquement éclairé par les lumières des humains m’a aussi durablement « hantée ».

Le risque face à un film qui a laissé un souvenir aussi durable serait que le charme ou l’efficacité s’estompe avec le temps. Le film de Scott échappe largement à ces problèmes et semble ne pas être affecté par les années qui passent tant le film reste moderne et rares sont les éléments à trahir son âge.

Alien, c’est avant un coup de génie. Celui d’avoir réuni quelques uns des créateurs les plus talentueux de l’époque en se basant beaucoup sur l’équipe qu’Alejandro Jodorowsky avait commencé à former pour son mythique projet d’adaptation du Dune de Frank Herbert. Se basant sur le scénario de Dan O’Bannon qui voulait offrir une vision horrifique de Dark Star de John Carpenter sur lequel il avait travaillé, la Fox a réussi à réunir la crème de la science-fiction que ce soit Hans Ruedi Giger qui signe une des créatures les plus mythiques qui soient, sentiment renforcé par le fait d’avoir développé autour d’elle un vrai univers, ou encore Moebius qui a participer à l’élaboration des tenues des astronautes et a contribuer à apporter une touche « Métal Hurlant », la revue de bande dessinée française crée par Jean-Pierre Dionnet, considérée comme apportant un vent de fraîcheur sur la science-fiction. Mais le coup de génie est aussi d’avoir su confier ce qui ressemblait à une simple série B comme il en fleurissait beaucoup à cette époque à un jeune cinéaste qui, pour son premier film, avait été ni plus ni moins que comparé au Kubrick période Barry Lyndon, rien que ça. Les producteurs ont donc démontré une volonté de faire de ce projet de série B quelque chose d’un niveau qui n’avait jamais été vu. Alien peut d’ailleurs être considéré comme un des premiers films à avoir fait du cinéma de genre un cinéma « mainstream » avec Star Wars.

Le film se démarque des productions de l’époque par son atmosphère. Il plane sur Alien un sentiment d’étrangeté, de crasse, de suintement, d’humidité,… qui l’oppose d’ailleurs directement à Star Wars. Si ce dernier présentait une vision positive de l’évolution scientifique, Alien en constitue l’antithèse. Ici, les progrès n’ont en aucune sorte améliorés les conditions de vie des ouvriers, ils continuent toujours à travailler dans des conditions déplorables dans un univers tout sauf glamour. En ce sens, Alien constitue sans doute la vision la plus juste de l’avenir mais aussi une des plus pessimistes. Ce sentiment d’étrangeté apparaît dès le départ où les membres de l’équipage sont réveillés de leur hyper sommeil par un message d’origine inconnue. Ils doivent donc atterir sur une mystérieuse et inquiétante planète. Les décors imaginés par Giger pour la planète LV-426 et l’intérieur du vaisseau extra terrestre sont d’une beauté macabre renversante et contribuent grandement au sentiment de malaise qui se dégage de la première partie du film. On sent que quelquechose ne tourne pas rond dans cette affaire mais, comme les protagonistes, on est également attirés par cet univers inconnu qui se révèle à nos yeux. Le film fonctionne beaucoup sur la suggestion notamment sur la présence du monstre dans le vaisseau mais aussi dès cette visite du vaisseau. Des bribes d’un désastre passé nous sont révélées et c’est au spectateur de s’imaginer (rétrospectivement, et c’est là que le film est fort) ce qui a pu se passer à l’intérieur. Ensuite, c’est la découverte de l’Alien proprement dit, de ce nouvel organisme, de son cycle de vie, qui apparait de plus en monstrueux, du « facehugger » jusqu'à l’explosion de la cage thoracique du pauvre John Hurt dans une des rares séquences vraiment gores du film.

L’Alien est une créature fascinante qui contribue beaucoup à la fascination qu’exerce le film. A l’instar d’autres films qui lui succèderont (The Thing, La Mouche), le xénomorphe a un cycle de vie proche d’un virus, d’une maladie. La question de la contagion est importante dans le film. A la fois abject de part son cycle de vie (contaminer de l’intérieur un hôte, le tuer de la manière la plus violente qui soit et, dans une scène non retenue au montage, transformer ses victimes en œufs, le tout formant une boucle) et fascinant par sa force et son élégance, l’Alien provoque des sentiments contradictoires chez le spectateur.

Une des forces du film est aussi l’ordre dans lequel les victimes sont éliminées, en commençant par le personnage qui nous est présenté comme principal (c’est lui que Scott filme au réveil) puis par l’habitué du cinéma des années 70, le génial Harry Dean Stanton dans une scène géniale et atteignant des sommets d’angoisse (les premiers plans faisant découvrir la vaisseau dans toute sa saleté, le cliquetis des chaînes sous l’eau qui s’écoule, l’Alien qui se dresse derrière Brett, le regard d’incompréhension de ce dernier et les immenses doigts de la créatures en ombre sur le visage de l’ouvrier, tout est parfait).

Le casting est une grande réussite, rien n’est à jeter. Il faut dire que les acteurs sont aidés par des personnages extrêmement bien écrits, à l’image de la relation très réaliste entre Stanton et Kotto, relation d’amitié entre deux vieux collègues qui se soutiennent et se charrie. Une des nombreuses forces de l’histoire est justement que l’on se retrouve dans une situation finalement très actuel d’un groupe d’ouvriers comme il y en a partout et leurs relations (d’amitié ou de hiérarchie) contribue au côté réaliste du film.

Le fait d’incorporer un second ennemi dans le film avec la compagnie (ce qui sera le cas dans toute la saga) et que celui-ci soit invisible et juste une présence organisatrice qui semble en savoir plus que tout le monde est une des nombreuses idées géniales du film. Véritable « méchant » du film, plus que l’Alien qui se contente de répondre à son instinct, l’évocation de cette compagnie et de l’organisation de l’espace en vigueur alors contribue à épaissir la mythologie et l’univers du film. Des ouvriers sacrifiés volontairement par une multinationale pour mettre la main sur l’arme de destruction massive la plus efficace jamais crée, voilà une idée extrêmement violente qui alimente le malaise que le film crée.

J’arrête là, je pourrais en parler des heures, mais je ne ferais que redire ce qui a été dit et écrit des dizaines de fois.
ValM
10

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le 28 janv. 2015

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ValM

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